Sur Genèse 25- 7-11 . 19-34
Ne pas être esclave de ses désirs
Philoxène de Mabboug
Onzième homélie, Contre la gourmandise, n° 437-452

Tu es un spirituel, et c’est aux désirs du corps que tu fais la guerre. Pour un spirituel, n’est-il pas ridicule d’être vaincu par son corps ? Pour un invité des cieux, n’est-il pas honteux d’être dompté par les assauts du corps ?
Ce que je vais dire, tout le monde ne l’acceptera sans doute pas, car cela semblera une nouveauté : peu nombreux ceux qui le comprendront, rares ceux qui le pratiqueront. J’énonce cette règle : il vaut mieux pour toi manger de la viande sans désir que de manger des lentilles avec désir. Pourquoi ? Parce que si tu manges de la viande sans l’avoir convoitée, tu n’es pas mû par la passion ; si, au contraire, tu manges avec convoitise un vil plat de lentilles, la passion a précédé. On te reproche alors ce que tu manges, non à cause de la nature de l’aliment, mais à cause du désir que tu en as.
Si tu sais par expérience que tu es déjà établi sur les hauteurs de la liberté chrétienne, si tu as dompté par la force de ton abstinence la servitude qui était en toi, si en mangeant tu ne t’es pas senti manger, si en buvant tu ne t’es pas senti boire, si donc tu manges comme un mort, mange. Mais si tu manges comme un vivant, prends garde, car le goût que tu as ressenti en prenant de la nourriture, atteste que la passion est encore vivante en toi et que tu manges pour manger et non pour vivre. Saint Paul t’a prévenu : prends garde de ne pas être mû par la convoitise, en te croyant parvenu à la liberté, alors qu’en fait tu es encore esclave : Vous avez été appelés à la liberté ; seulement que votre liberté ne soit pas un prétexte pour la chair. Manger de la viande, ou manger des légumes avec passion, c’est pareil ; les deux méritent le blâme, parce que c’est le désir qui les mange.
C’est donc le désir avec lequel on mange qui est blâmé, même s’il s’agit d’un aliment très simple. Pour le comprendre, mets devant tes yeux les lentilles d’Esaü et la viande apportée à Elie par les corbeaux. Esaü fut condamné pour avoir mangé des lentilles, et Paul l’appelle relâché et profanateur, parce qu’il a vendu son droit d’aînesse pour un seul aliment. Elie au contraire est spirituel, bien qu’il mange de la viande. Par ces exemples d’Elie et d’Esaü, comprends donc que c’est le désir qui est condamné. Sois au-dessus du désir en tout : alors tu pourras manger de tout. Mais si tu n’es pas au-dessus du désir, tout ce que tu mangeras sera pour toi condamnation.