sur Genèse 21, 1-21
L’expérience du Christ d’être homme
Dom Jean Leclercq
Regards monastiques sur le Christ au Moyen Age, p. 206s

Pourquoi un Dieu homme ? avait demandé saint Anselme. Saint Bernard reprend la question et y répond au moyen d’un vocabulaire qui traduit l’idée d’une connaissance expérimentale. Le Verbe de Dieu a voulu, dans le Christ, expérimenter la condition humaine. Dans son premier traité, Sur les degrés d’humilité, Bernard en avait parlé longuement : « On ne lit pas : le Verbe s’est fait ange, mais le Verbe s’est fait chair et chair dans la descendance d’Abraham ». Plusieurs fois dans son œuvre, il insistera sur le fait que le Christ a eu une expérience d’homme que l’ange n’avait pas eue. Il insiste sur la divinité de Jésus. Bernard admet en lui, quant au jour de son retour en gloire, une certaine part d’ignorance possible, et sa science divine est un mystère sur lequel il n’a cessé de réfléchir, quitte à se rétracter sur ce point alors que ce traité est déjà en circulation. Mais, de façon inconditionnée, il proclame que le Christ a fait un véritable apprentissage de la condition humaine. Bernard s’appuie sur des versets de la Lettre aux Hébreux disant que le Seigneur a passé par les mêmes épreuves que nous, sauf le péché, afin d’apprendre par l’obéissance de ce qu’il a souffert ce que c’est qu’obéir, devenir miséricordieux et savoir compatir. Avant l’Incarnation, le Fils éternel n’avait pas la connaissance expérimentale de la sujétion et de la miséricorde. En sa Passion, le Verbe incarné l’a acquise. Ainsi ce que le Fils savait par sa science divine, il ne le savait pas pour en avoir fait l’expérience au moyen des sens que possédait sa chair. Il fallait qu’en celle-ci, il devînt misérable pour accéder à l’expérience qu’il n’avait pas. Ce recours, presque monotone, au vocabulaire de l’expérience, fait entrevoir la nouveauté que fut en Dieu l’expérience du Fils incarné. Cela rappelle cette formule ancienne : Un de la Trinité a souffert. Ce dernier terme, passus est, est alors associé à celui qui désigne la compassion. Telle a été l’expérience du Sauveur : par ce qu’il a fait, il nous a montré ce que nous devons faire. Le Fils, dira ailleurs saint Bernard, a daigné être notre frère ; le Père a daigné être le Père de ceux dont son Fils était devenu le frère. Par le Christ, nous avons acquis la triple connaissance du Père, du Fils et de l’Esprit. En apprenant l’obéissance par la souffrance, le Fils est devenu notre grand prêtre. En lui, l’un d’entre les humains nous unit au Père et nous donne le salut. A nous maintenant d’avoir part à la miséricorde qu’il a apprise en partageant notre misère.