Mémoire des saints Maur et Placide

Genèse 6,5-22 . 7,17-24
Un miracle de saint Benoît

Adalbert de Vogüé
Vie de saint Benoît, Bellefontaine, 1982, p. 72s

Le dernier miracle de saint Benoît, réalisé à Subiaco, comprend à a fois une opération de sauvetage, réalisée par un intermédiaire, Placide, et une vision accordée à la personne sauvée, Maur. De plus, le sauvetage lui-même présente deux traits merveilleux : la marche sur les eaux et l’inconscience de l’acteur.
De ces divers éléments, celui que Grégoire met en relief est la marche sur les eaux, prodige qu’il déclare inédit depuis l’apôtre Pierre. Ici, le modèle biblique est expressément mentionné. Chose curieuse, c’est au même Pierre que fait penser le « retour à soi » de Maur après son exploit inconscient : Grégoire a cité déjà cet exemple du Prince des apôtres sortant de prison comme en rêve, « revenant à lui » et prenant conscience de la réalité de sa délivrance.
Ainsi Maur représente deux fois l’apôtre : d’abord quand il court sur les eaux, puis quand « il revient à lui ». Ajoutons que son rôle de sauveteur l’assimile à Jésus dans la scène sur le lac : lorsque Pierre prend peur et commence à s’enfoncer, le Maître lui tend la main et le tire du danger. Mais ce geste discret du Christ ne ressemble guère à celui du jeune moine qui empoigne la chevelure du petit Placide. A cet égard, on songe plutôt à l’ange qui enleva Habacuc, autre épisode scripturaire qu’on rencontre ailleurs dans les Dialogues.
En marchant sur les eaux, Maur ne fait qu’obéir à son Abbé. On voit, dès lors, de qui celui-ci tient la place. Comme Pierre n’a marché sur les eaux qu’en vertu de la volonté de Jésus, ainsi Maur doit son haut fait à celle de Benoît. « L’Abbé tient la place du Christ », dit saint Benoît dans sa Règle.
Ce miracle est différent de son précédent évangélique. La scène de l’Evangile est dramatique : c’est la nuit, le vent souffle en tempête, la barque est en difficulté, les disciples s’épouvantent de voir Jésus et poussent des cris ; Pierre sollicite un signe, se lance sur le lac, s’effraie du vent, commence à enfoncer, appelle au secours ; Jésus, en le sauvant, lui reproche son manque de foi. Au contraire, l’action, dans les Dialogues, se déroule comme par enchantement : c’est seulement après coup que Maur se rend compte du prodige accompli et du danger couru ; Grégoire a dédramatisé l’épisode évangélique. Plus rien de sombre, d’angoissé, de tumultueux ; un beau miracle triomphal et paisible, voilà tout ce qui reste de la nuit de tempête sur le lac de Galilée.
Prière de Benoît, humilité et obéissance de Maur, n’est-ce pas là, à une inversion près, les trois critères de vocation du novice qu’indique la Règle ?