Sur Exode 33, 7-23 . 34, 5b-9 . 29-34
De grâce, Seigneur, fais-moi contempler ta gloire

Saint Grégoire de Nysse
La Vie de Moïse, Sources Chrétiennes 1 bis, p. 257s

Comment l’homme, à qui tant de théophanies ont rendu Dieu clairement visible, selon l’Ecriture, lorsqu’elle parle de face à face, comme un ami parle à son ami, peut-il prier Dieu de se montrer à lui, comme si Dieu, qui ne cesse de se manifester, ne s’était pas encore laissé voir ? C’est que l’âme s’élève toujours davantage au-dessus d’elle-même, tendue par le désir des choses célestes vers ce qui est en avant : ainsi elle poursuit son vol toujours plus haut. Seule l’activité spirituelle a cette propriété de nourrir sa force en la mettant à l’œuvre, et de ne pas perdre, mais d’augmenter, sa vigueur en la dépensant.
Ainsi le grand Moïse : montant toujours plus haut, il n’arrête nullement son ascension, ni ne se fixe de limite à son mouvement vers les hauteurs ; ayant une fois mis le pied à l’échelle sur laquelle Dieu se tenait, il ne cesse de monter à l’échelon supérieur, continuant toujours de s’élever. S’étant haussé sur ces sommets, il rayonne de gloire, il est encore soulevé de désir, insatiable de monter plus haut : il a toujours soif de ce dont il s’est déjà gorgé à satiété. Et comme s’il n’en avait pas assez, il supplie Dieu de se manifester à lui, non dans la mesure où il peut participer à la divinité, mais tel que Dieu est en lui-même.
Voilà ce qu’éprouve une âme passionnée d’amour pour la Beauté essentielle, une âme que l’espérance ne cesse d’entraîner de la beauté qu’elle a vue à celle qui est au-delà, enflammée continuellement du désir de voir ce qui lui reste encore caché. Une telle demande si audacieuse dépasse les limites du désir : elle aspire à jouir de la Beauté, non à travers miroir ou reflets, mais face à face. La voix divine lui donne ce qui est demandé par le fait même qu’elle le refuse, offrant en peu de mots un abîme immense de pensées. En effet, la munificence de Dieu lui accorde l’accomplissement de son désir ; mais en même temps, elle ne lui en promet pas le repos ou la satiété. Dieu ne serait pas montré à son serviteur si cette vision avait dû faire cesser le désir du croyant : la véritable vision de Dieu consiste dans le fait que celui qui lève les yeux vers Lui ne cesse plus jamais de le désirer. Voir Dieu, c’est donc ne jamais trouver de satiété à son désir. Il faut plutôt, en regardant toujours, se laisser enflammer, par ce qu’il est déjà possible de voir, du désir de voir davantage.