Apocalypse 2, 12-29

« Au vainqueur, je donnerai de la manne cachée »

Pierre Prigent

« Et le ciel s’ouvrit… », p. 53s

        Nous trouvons là une allusion à la croyance largement répandue dans le Judaïsme de l’époque, selon  laquelle la manne est mise de côté, cachée, réservée au ciel pour les élus. Elle leur sera donnée comme nourriture miraculeuse à l’ère messianique. La manne, dans le désert, était déjà une nourriture miraculeuse ; il est aussi attesté dans l’Exode qu’un peu de manne du désert a été déposé dans la tente de la rencontre, comme mémorial de la sollicitude de Dieu à l’égard de son peuple. Dans la suite, cette tradition s’est enrichie : par exemple, selon le deuxième livre des Maccabées (2,4-8), après la ruine de Jérusalem, Jérémie aurait fait cacher l’arche d’Alliance et le reste de la manne dans le Mont Nébo ;

        Il faut sans doute aller plus loin : nous savons que la manne a souvent été prise dans le christianisme primitif comme symbole eucharistique. Il est donc plus que vraisemblable que, pour les premiers lecteurs de l’Apocalypse, l’image de la manne devait évoquer le pain de l’eucharistie. S’il en est ainsi, les biens promis par le Christ, dans les finales des Lettres que nous lisons au début de l’Apocalypse, ne sont pas réservés à la fin des temps. Ils renvoient à des réalités présentes dans la vie des chrétiens : dès aujourd’hui ne reçoivent-ils pas cette nourriture promise pour les temps à venir ? Comment s’en étonner ? Depuis la venue du Christ, le monde est entré dans sa période ultime ! Dans les Lettres de l’Apocalypse, le futur s’enracine fortement dans le présent de la vie ecclésiale. Autrement dit, pour qui sait voir, le présent offre, dans la communion au Christ, ce que la Fin manifestera.

        Après la manne cachée, il sera aussi donné une pierre blanche. A quel usage contemporain, l’auteur a-t-il pensé ? Pierre d’acquittement dans les votes des tribunaux ? Pierre d’invitation aux banquets officiels ? Amulette, ou autres ? Rien ne permet d’en décider. Notons sa couleur blanche, ce qui la range parmi les symboles des réalités chrétiennes de l’Apocalypse ; cette pierre porte un nom qui est dit nouveau ! Ce nom appartient lui aussi au monde renouvelé, à la nouvelle création ; nous trouvons là une allusion vraisemblable à des textes nombreux : Jérusalem recevra un  nom nouveau, à mes serviteurs sera donné un nom nouveau ?… Il s’agit donc de conférer au vainqueur une existence nouvelle dont Dieu seul peut être l’auteur. Quel est ce nom ? Il semble que ce soit le nom du Christ. On ne peut oublier que le christianisme primitif a volontiers affirmé que c’est au baptême que le chrétien reçoit le nom du Christ : c’est là qu’il devient une créature nouvelle, c’est là que lui est signifiée sa nouvelle naissance. Mais, précise le texte, recevoir le nom nouveau  n’est donnée qu’à ceux qui savent vivre ici-bas de cette nouveauté en refusant toute compromission : On ne peut servir deux maîtres.