Matthieu 4, 12-23

Qui Dieu choisit-il ?

Rupert de Deutz

Sur saint Matthieu III, PL 168, col. 1383-1384

        De même que le soleil, quand il paraît, ne voit pas seulement les miroirs mais forme en eux son image, et son image brille une seconde fois en eux, ainsi le vrai Soleil n’eut qu’à voir Pierre et André, Jacques et Jean, âmes pures  n’ayant aucune part aux ténèbres, et sa lumière fut captée par eux ; l’image de la vraie Lumière  se forma dans leur cœur par la foi.

Dans quelle situation les vit-il ou les trouva-t-il, ces hommes dont il pénétra la pureté de cœur et la foi transparente ? Il les trouva lançant leur filet dans la mer, ou les raccommodant, car ils étaient pêcheurs. Pourquoi donc Dieu a-t-il choisi  des pauvres plutôt que des riches ? Disons plutôt : Ceux qu’il a élus avant la création du monde, qu’il a connus et vus d’avance, conformes à l’image de son Fils, ceux qu’ils se proposaient d’appeler, de justifier et de glorifier, pourquoi a-t-il voulu qu’ils naissent pauvres ? Eh bien, pour leur instruction ! Car la conscience d’être pauvre est une grande science et une grande valeur, pour que la créature sache et reconnaisse ce qui devant le Créateur est vraiment beau et juste, à savoir son ordre. Quel ordre ? Celui auquel l’apôtre s’efforce de nous initier quand il s’exclame : O profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! 

        Tel est l’ordre légitime, l’ordre nécessaire : que la créature se soumette au Créateur, sachant et confessant que de Lui, par Lui, et en Lui, sont toutes choses, tout le bien que peut avoir l’homme bienheureux ou l’ange saint. Or pour cette science et connaissance, rien ne vaut la fournaise de la pauvreté première que l’on garde dans la mémoire. C’est de cette pauvreté que les fils d’Israël furent appelés ; c’est dans cette pauvreté que furent trouvés Pierre et les autres apôtres, des hommes simples, sans lettres et en outre sans argent. Plus ils devaient recevoir des dons de Dieu, plus il leur fallait avoir conscience de leur grande pauvreté, afin de porter ces dons avec une âme constante et inébranlable, parce que fondée sur l’esprit d’humilité. Car les gonds de la terre appartiennent au Seigneur ; et saint Jérôme dit qu’au lieu des gonds, l’hébreu porte ici les affligés de la terre. Et c’est sur eux que le Seigneur a posé le monde. Cette affliction, c’est l’humilité que les rend constants et forts pour porter le globe du monde. La solidité rend les objets matériels plus résistants aux choses et heurts ; la vertu d’humilité en fait autant pour les esprits : l’âme ne s’élève pas de ses dons spirituels quand elle a une conscience aigüe de sa pauvreté première ou de ses malheurs. Le globe terrestre que le Seigneur posé sur les affligés de cette sorte, c’est son Eglise : il leur en a confié le gouvernement, quand il a dit à Simon-Pierre : Et moi, je te dis que tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise.