Luc 2, 36-40

Voir Dieu

Saint Pierre Chrysologue

Première homélie sur le mystère de l’Incarnation, PL 52, 594-595

 

A cause des bienfaits reçus, où la flamme de l’amour divin embrase les cœurs, où l’ivresse de l’amour de Dieu se répand dans tous les sentiments de l’être humain, certains, de leur âme blessée, ont voulu voir Dieu par leurs yeux de chair. Pour obtenir cela, la prophétesse Anne ne s’écartait pas du Temple, participait au culte nuit et jour, par des jeûnes et des prières.

Dieu que le monde ne peut contenir, comment le regard humain, si étroit, pourrait le saisir ? Mais le code de l’amour ne considère pas ce que celui-ci peut être, ce qu’il doit et ce qu’il peut faire. L’amour ignore le jugement, il manque de raison, il ignore la mesure. L’amour ne se laisse pas consoler par l’impossibilité, il n’admet pas que la difficulté soit un remède. L’amour, s’il n’obtient pas l’objet de ses désirs, détruit celui qui aime, et c’est pourquoi il va là où il se laisse entraîner, non là où il doit aller. L’amour engendre le désir, s’enflamme d’ardeur, son ardeur le porte au-delà de ce qui lui est accordé. A quoi bon insister ? Il est impossible que l’amour ne voie pas ce qu’il aime ; voilà pourquoi bien des saints ont jugé sans valeur tout ce qu’ils avaient obtenu, s’ils ne voyaient pas le Seigneur. Voilà pourquoi l’amour qui désire voir Dieu, s’il manque de jugement, a pourtant une piété ardente. Voilà pourquoi Moïse ose dire : Si j’ai trouvé grâce à tes yeux montre-moi ton visage. Et le psalmiste de même : Montre-moi ton visage. Voilà pourquoi, dans le désir qui l’habitait d’être le plus possible avec son Dieu, la prophétesse Anne ne quittait pas l’enceinte du Temple dans l’attente de voir Dieu. Enfin, c’est pour cela que les païens ont fabriqué des idoles : afin de voir de leurs yeux, au milieu de leurs erreurs, ce qu’ils adoraient.

L’amour qui ne désire pas voir est un amour qui ne va pas jusqu’au bout de lui-même, c’est-à-dire au-delà du raisonnable, au-delà de la mesure, au-delà du possible, au-delà de ce qui lui est accordé. C’est une ivresse, une blessure qui ne peut être guérie que par la vision de celui qui a blessé l’âme.