Lamentations 3, 1-33

Le dernier jour

Père Christian de Chergé

Méditation pour le Vendredi Saint

 

          Le grand Hallel s’achève sur le chemin de Gethsémani : au fond de la coupe partagée, Jésus va boire la lie amère du calice. Dehors, il fait nuit, la nuit la plus longue du temps, celle de la tristesse du péché, de la torpeur du pécheur.

            Les disciples s’endorment comme chaque soir. Dans le silence du Père, seuls veillent le Fils Bien-Aimé et le fils de perdition. Isolé pour cette heure de prière, dans le sang et le feu, le Fils de l’homme se prépare à recevoir le baiser d’Adam.

            Pour que cette heure puisse durer jusqu’à la consommation des siècles, il faut que s’accomplisse toute entière cette Pâque tant désirée.

            Dans les ténèbres, quelques torches s’avancent maintenant, mais la lumière du monde les a précédées. Bientôt il fera jour.

            Du Sanhédrin au Prétoire, de Gabbatha au Golgotha, de station en station, c’est le dernier pèlerinage du Messie dans cette Ville qui n’existait que pour Lui au sein de cette Pâque instituée en son honneur.

            Ses juges se condamnent eux-mêmes en outrageant leur juge : Caïphe se scandalise, Hérode s’amuse, Pilate se dérobe ; l’un se lave les mains, les autres ont les mains pures !

            La foule qui l’a intronisé solennellement, l’escorte maintenant hors du camp ; il lui suffit de changer le refrain : hier Hosanna, aujourd’hui A mort ! Et les pierres du chemin continuent de se taire.

            Tout a commencé au croisillon d’une mangeoire, le nouveau-né ouvrait ses bras pour accueillir ; dans la pesanteur du Calvaire, librement, l’Homme nouveau les ouvre encore pour tout donner : Père, entre tes mains, je remets mon esprit. Ainsi se concluent les affaires du Père, comme elles ont débutées, dans l’obéissance.

            Parvenue au terme de sa course, la Parole qui a cherché le chemin de tous les cœurs n’a plus qu’un cri à jeter pour ouvrir à tous le cœur de Dieu.

            Le badaud pressent une stabilité nouvelle qui lui échappe et l’attire : l’un des voleurs s’accroche au passé déjà crucifié ; pour l’autre, le Royaume s’entrouvre. Au pied de la Croix, l’Eglise prend le relais : Stabat Mater.

Tonnerre, tremblement… L’homme des douleurs reste debout, planté en ciel comme l’ancre au rivage.

L’eau jaillit, le soldat a ouvert le côté, puis les yeux se ferment. Dans le sang qui coule, Marie revoit Cana et le vin, le meilleur, gardé pour la fin. C’est enfin l’Heure de la mort de son Fils, celle des noces de la mort et de la Vie. Le sépulcre est scellé. Dieu habite la mort.

Mais dans le cœur ouvert de sa Mère, déjà l’espérance habite la Vie.