Juges 11, 1-9 + 29-40

Jephté et sa fille

Saint Augustin

Sur l’Heptateuque, OC 8, Livre VII, 10, p. 94s

 

          L’Ecriture, après avoir dit : L’Esprit du Seigneur se répandit sur Jephté, raconte immédiatement le vœu qu’il a fait, la victoire qu’il a remportée, et l’accomplissement de son vœu ; doit-on attribuer toutes ces choses à l’Esprit-Saint et assimiler ce sacrifice à celui que Dieu commande à Abraham de lui offrir ? Il n’est pas facile de répondre à cette question. En effet, il y a quant à Gédéon, cette différence, c’est qu’après la faute qu’il a commise en faisant un Ephod qui entraîna tout le peuple dans la fornication de l’idolâtrie, nous ne lisons pas que le succès ait couronné quelqu’une de ses entreprises ; au contraire, c’est, après avoir fait ce vœu, que Jephté remporte cette victoire éclatante, cause du vœu qu’il avait fait, et c’est après cette victoire qu’il accomplit ce vœu.

          Il ne faut pas confondre l’intention de celui qui fait un vœu avec la providence de Dieu qui se sert pour le bien de cette intention, qu’elle qu’en soit la valeur. Si donc l’Esprit du Seigneur qui s’est répandu sur Jephté lui a fait une obligation absolue de ce vœu, ce que l’Ecriture ne dit point, l’ordre précis de celui dont il n’est permis à personne de mépriser l’autorité, non seulement l’exempte de toute faute, mais encore rend son obéissance digne d’éloges. En effet, la mort que l’homme se donne à lui-même, ce qu’il ne peut faire sans crime s’il s’agit de sa propre autorité par inspiration personnelle, cesse d’être un crime pour devenir un acte d’obéissance si Dieu demande ce sacrifice.

          Or, si Jephté, victime d’une erreur toute humaine, a cru devoir faire le vœu d’offrir à Dieu un tel sacrifice, son imprudence a été justement punie par la mort de sa fille unique, comme il l’exprime assez clairement lorsqu’il s’écrit en déchirant ses vêtements : Ah ! Malheureux que je suis, ma fille, tu es devenue un piège pour moi, tu es devenue un obstacle à mes yeux. Cependant cette erreur même n’est pas sans mérite à cause de la foi de Jephté qui lui fait craindre la colère divine, s’il n’accomplissait pas son vœu. Il ne chercha pas à se soustraire à l’arrêt de la justice divine, soit qu’il espérât que Dieu s’opposerait à l’exécution de ce sacrifice, comme il avait fait pour Abraham, soit qu’il fut résolu d’obéir à la volonté de Dieu, plutôt que de la mépriser dès qu’il comprit qu’il ne s’opposerait pas à l’accomplissement du vœu qu’il avait fait.