Jésus se révèle à Béthanie

Père Pierre Bockel

Bible et Terre Sainte, n° 163, 1974, p. 19

 

           Partageons la prédilection de Jésus pour le petit village de Béthanie, blotti au creux d’une des pentes du Mont des Oliviers, non pas seulement à cause du charme de l’endroit, qu’à cause de l’oasis d’amitié qu’il fut pour le Seigneur. Nous y apprenons à connaître le visage tour à tour humain, sensible, fraternel et surprenant de puissance de celui qui est à la fois notre frère et notre Dieu. Contemplons pour nous en pénétrer les scènes intimes et déroutantes qui s’y sont déroulées, depuis l’entretien avec Marthe et Marie,dont Jésus est l’hôte, jusqu’à celle, mystérieusement prophétique, de l’onction parfumée, en passant par le récit de la résurrection de Lazare.

            Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare, nous confie saint Jean. Alors qu’il se cachait loin de la Judée afin d’échapper au complot qui se resserrait autour de lui, Jésus reçoit un jour ce message de Béthanie : Ton ami, Lazare, est malade. L’amitié est plus forte que la prudence. Jésus quitte alors sa retraite pour rejoindre Lazare jusque dans ce village situé aux portes de Jérusalem, le point chaud du danger. Marthe vient à sa rencontre et lui annonce la nouvelle fatale : Lazare est mort. Marie accourt à son tour et lui dit, tout en larmes : Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. Alors, Jésus fut bouleversé d’une émotion profonde. Il se rend au tombeau, et là il pleura, avec les autres, comme les autres, comme nous… Tel il était : homme parmi les hommes, fraternel, fidèle et sensible, noble dans l’amitié et faible jusqu’aux larmes, faible de notre faiblesse et noble de cette amitié où déjà se perçoit la charité qu’il hérite de l’amour du Père et qui nous séduit. Si Lazare fut rendu à la vie, il n’échappera pas à une seconde mort ; mais peu lui importe désormais puisqu’il sait qu’il a un ami qui est plus fort que la mort.

            C’est de Béthanie, de chez Lazare, que bientôt Jésus partira pour faire son entrée royale à Jérusalem, et pénétrer ainsi dans la tragique et glorieuse aventure pascale. C’est avec la même faiblesse, les mêmes larmes, la même angoisse, celle d’un chacun, que nous le retrouvons à Gethsémani devant sa propre mort. Cette faiblesse, vécue en amoureuse obéissance jusqu’à la mort, va s’offrir à cette même puissance de résurrection que déjà il portait en lui lorsqu’il commandait à Lazare de sortir du tombeau.

            Parce que le Christ éternel a revêtu notre humanité jusque dans la familiarité quotidienne, jusque dans le frisson de l’amitié la plus sensible et jusque dans le tragique de la souffrance et de la mort, désormais nous sommes tous sauvés par la force de l’Esprit qui, par lui, habite notre faiblesse comme il habitait la sienne, habite, transforme et élève l’amitié humaine jusqu’à la communion…