2 Samuel 24, 1-4 + 10-19

La révélation du silence

Sœur Jeanne-d’Arc

Elie et nous, VS 87 (1952), p. 294

 

        La monotonie, la dureté du désert ont une valeur éducatrice irremplaçable : elles aiguisent en nous le désir, éveillent nos sens spirituels. En acceptant, à l’exemple d’Elie, le prophète, cette marche infinie à travers nos déserts, l’âme s’assouplit et apprend les voies de Dieu. C’est ainsi qu’Elie a acquis ce discernement qui lui permettra de savoir au premier instant devant les phénomènes les plus impressionnants, que Dieu n’est pas là ; les yeux s’habituent à l’obscurité, l’oreille s’affine dans le silence et devient capable d’ouïr les murmures les plus légers.

       Toutes les sévérités du désert ne sont que pour amener l’âme à ce silence qui est la condition même de toute vie spirituelle. Nous ne pouvons pas comme Elie, comme les ermites aller au désert, nous ne pouvons peut-être pas consacrer un temps considérable à l’oraison, mais tous nous pouvons tendre au silence intérieur. Nos journées ne sont-elles pas riches de temps vides que nous pourrions transmuer en or pur sous le regard de l’attention. Essayons de garder précieusement cette zone de silence intact, ce sommet de pure solitude où nous pourrions sans cesse nous tenir en face du Dieu vivant. C’est en cette profondeur de silence que l’on peut être attentif au souffle imperceptible. Le visage voilé dans la nuit de la foi, l’âme décantée par le silence reconnaît, sans aucun bruit de paroles, la présence secrète en elle de son Dieu.

      Et ce n’est pas une voie qui nous isole, nous sépare. Tout de suite après l’expérience ineffable, le prophète reçoit l’ordre de retourner par le même chemin. Son devoir d’état l’appelle ; Dieu le renvoie à sa tâche humaine, à son rôle de prophète. Mais il emporte avec lui, à jamais inviolé, le silence de l’Horeb, de cette haute montagne où s’est inaugurée en sa faveur une des formes les plus spirituelles de l’intimité divine.

       C’est pourquoi Elie est le père des contemplatifs. Mais sont contemplatifs aussi, parfois sans le savoir, tous ceux qui, plus ou moins obscurément, ont soif de cette intimité, tous ceux qui, si faiblement que ce soit, en ont pris conscience et essaient d’y être attentifs dans le silence. Cette nuit, vécue par le prophète au sommet de l’Horeb, c’est un commencement de la révélation du silence. Tous les contemplatifs, jusqu’à la fin des temps, vivent dans le sillage d’Elie.