Ephésiens 4,1-16

Matthieu le publicain

Père Claude Flipo

Hommes et femmes du Nouveau Testament, p. 54s

 

          Il n’était pas fier, notre Lévi, pas méprisant. Il ne se flattait pas d’être juste, de jeûner deux fois la semaine ou de verser au Temple la dîme de ses revenus. Il y avait en lui quelque chose de l’humilité d’un enfant pris en faute. Aussi, quand il allait à la synagogue, il évitait de traverser la place où les pharisiens l’aurait toisé de haut en bas. Il rasait les murs et restait au fond, près de la porte. Car, tout en vivant dans le désordre, il était croyant et il craignait Dieu. Il avait bien conscience d’être comme le reste des hommes qui sont rapaces, injustes, adultères, et de participer à la lèpre qui ronge le corps social. Mais il avait bon cœur, et ouvrait volontiers sa table aux miséreux. Lui aussi, depuis sa jeunesse, attendait confusément la Consolation d’Israël, le Messie promis qui viendrait tout remettre en ordre. Et ce qu’on disait de Jésus dans la ville l’intriguait profondément.

          Les comptes du jour achevés, Lévi s’était bien souvent glissé dans la foule pour écouter avec avidité le prophète de Nazareth. Lui qui pressurait les contribuables, à la solde des princes, il l’entendait parler d’un autre Royaume, cordial et fraternel, où règnent la liberté, la justice, et la miséricorde, le Royaume de Dieu qui vient, et qui déjà prenait forme autour de Jésus. Mais lui, Lévi, personne ne l’appelait, malgré le désir qu’il en ressentait parfois si vivement. Et il sentait douloureusement la vanité de sa vie. Il aurait bien voulu, comme Simon et André, ses compatriotes, être appelé. Mais personne ne faisait appel à ses services. Il n’osait approcher Jésus, lui, l’exclu, le publicain. Et en attendant, il ne faisait que s’étourdir, se distraire de ce grand vide intérieur qui l’accablait en secret. Combien, autour de lui, tournaient ainsi en rond dans le sentiment d’être inoccupés, et dépensaient leur énergie à engranger de fausses valeurs, faute de pouvoir engager le meilleur d’eux-mêmes vers un horizon à hauteur d’hommes ! Et combien il aurait voulu confusément que l’on fasse appel à ce qu’il y a de meilleur en lui, tout cet amour inemployé, comme en sommeil !

          Et voici que le doigt de Jésus avait traversé l’abîme : Suis-moi ! Et le cœur de Lévi avait bondi : Quittant tout et se levant, il le suivit. D’un regard, d’un mot, Jésus avait rejoint son désir le plus secret, le meilleur de lui-même, l’extraordinaire possible qui sommeillait en lui. Et Lévi s’est senti reconnu, respecté, appelé à ce point intime où tout peut renaître. Lévi brûla ses vaisseaux, d’une façon royale, comme le fera Marie de Magdala en brisant le vase contenant un parfum de grand prix. Il offrit à Jésus un grand festin en y dépensant une fortune : il y invita les disciples et toutes ses connaissances. Si bien qu’il y avait là beaucoup de publicains, ces gens que leur métier rendait impurs, collecteurs d’impôts, braves gens, petites gens, infirmer, boiteux, et bien d’autres…