Genèse 12,1-9+15,1-6 ou Siracide 45,1-16 ou Ephésiens 4,1-24

De l’oratoire du monastère

Père Adalbert de Vogüé

La Règle de saint Benoît, Commentaire doctrinal et spirituel, p. 351s

 

            Ce chapitre sur l’oratoire du monastère ne contient sans doute rien de plus personnel et de plus attachant que la courte phrase où saint Benoît indique les modalités de la prière privée : Si l’on veut prier en secret, à part soi, que l’on entre et que l’on prie sans bruit, non à voix haute, mais avec larmes et application du cœur. Augustin, dans sa règle, mentionnait déjà les prières particulières faites à l’oratoire en dehors des offices, il ne songeait qu’à les protéger contre le bruit des travaux profanes. Benoît se soucie en outre du bruit que feraient les orants eux-mêmes en priant à haute voix. Non content de l’interdire à cause de la gêne qui en résulterait pour autrui, il esquisse en contre-partie les marques de la prière vraie : des larmes qui jaillissent d’un cœur intensément attentif.

            Cette description fait aussitôt penser à celle du chapitre De la révérence dans la prière. Là aussi, Benoît a constaté deux manières de prier, l’une déconseillée, l’autre recommandée : Ce n’est pas en multipliant les paroles que nous serons exaucés, sachons-le bien, mais par la pureté du cœur et les larmes de la componction. De part et d’autre, l’hypertrophie de l’élément extérieur, abondance de paroles ou force du son, est réprouvée, et l’accent est mis sur les mêmes éléments spirituels : le cœur et les larmes.

           Benoît fait observer que la prière peut se prolonger sous l’effet d’un sentiment inspiré de la grâce divine. Cette infraction apparente à la prière brève n’est pas une rechute dans le multiloquium, l’abondance des paroles ; la mention qu’en fait ici Benoît fait penser à la prescription de réciter le verset Dieu viens à mon aide, hâte-toi de me secourir au début de chaque office diurne. Ici, Benoît relève que la prière ne s’adresse pas seulement à Dieu, elle vient de Dieu lui-même.

         Prière prolongée, prière avec larmes, ces deux faits sont attestés dans la biographie de Benoît par saint Grégoire. Peut-être était-il chez lui, comme le suggère celui-ci, des traits habituels qui apparaissaient à son entourage  comme caractéristiques de sa physionomie religieuse. En tout cas, ses invitations aux larmes de la componction, jointes à ses condamnations symétriques du rire, sont de celles qui nous font sentir combien nous sommes loin de lui et de son univers spirituel. Non, le rire, mais les larmes ; non les récréations, mais le recueillement, non le divertissement, mais la componction. L’idéal de Benoît est celui de la joie que l’Esprit répand dans l’âme au sein de la pénitence et de l’attente.