Marc 6, 45-52

Une traversée hallucinée

Dom David-Marc d’Hamonville

Marc, l’histoire d’un choc, p. 129s

 

Marc donne une vision surplombante, comme par satellite, de la situation spatiale des protagonistes : Le bateau était au milieu de la mer, et lui, seul, sur la terre.

A cette situation objective correspond une situation subjective qui se trouve aussitôt explicitée et mise en images d’une façon frappante : Jésus, sur la terre, est d’une parfaite stabilité, solidement ancré à son Père par la prière, tellement bien les pieds sur terre qu’il en est rendu capable de marcher sur la mer ! La précision et il voulait les dépasser fait peut-être résonner le verbe passer au sens du passage de la mer qui reste le haut fait de la sortie d’Egypte, la libération d’Israël. Lors de la tempête apaisée, au chapitre 4 de Marc, Jésus se contentait de dormir paisiblement ; cette fois, il marche sur la mer, et il passe, manifestant une puissance active et souveraine. L’une des paroles qu’il leur adresse, c’est moi, est à double portée ; au-delà de la formule banale, destinée à le faire reconnaître, on peut y lire les prémices d’une revendication d’autorité divine qui retentira à nouveau au procès de Jésus, formule tirée d’un oracle d’Isaïe destiné à rassurer Israël en situation de grand désarroi : Pour que vous sachiez, que vous croyiez et que vous compreniez que Moi, je suis.

Les disciples, eux, au milieu de la mer, sont en proie à toutes les turbulences possibles, extérieures et intérieures.

Ce contraste entre l’attitude de Jésus et celle des disciples se traduit par un double regard, aux effets diamétralement opposés.

Jésus, voyant leurs vains efforts, leur désarroi, leurs tourments, vient à eux, tandis qu’eux-mêmes, voyant Jésus qui vient à eux, marchant sur la mer, avec une aisance déconcertante, restent en état d’hallucination, de bouleversement, de sidération, et cet état perdure en sa présence, alors qu’il est là de nouveau près d’eux, dans le bateau. La description du narrateur multiplie les traits qui marquent cet état de choc.

Par rapport à la tempête apaisée, la progression de l’incompréhension est très sensible. Plus Jésus se révèle, plus les disciples se referment, la peur et la sidération tenant place d’une confiance et d’une foi qui n’arrivent pas à naître.