Luc 5, 12-16

Le récit de miracle

Daniel Marguerat

Vie et destin de Jésus de Nazareth, p. 119s

 

Dans les évangiles, les guérisons rattachent Jésus à la pratique thérapeutique de son temps, avec d’indéniables originalités ; ils concrétisent dans le présent la visibilité du Règne de Dieu et valorisent la foi de la personne dans le processus de guérison : Va, ta foi t’a sauvé.

Pourquoi a-t-on continué de raconter, et avec profusion, les miracles de Jésus ? Parce qu’ils émettent une protestation contre les ravages du mal qui défigurent l’humanité. Parce qu’ils proclament que la souffrance n’est pas une fatalité, encore moins une sanction divine. Parce que le lien établi avec le Règne de Dieu fait comprendre que la transformation du corps symbolise une transformation du monde, où Dieu est reconnu dans sa volonté bonne envers les humains.

Un récit apocryphe, les Actes de Pierre et des douze apôtres, met en scène le Christ ressuscité sous l’apparence d’un médecin appelant les apôtres à soigner eux aussi ; lorsque ceux-ci rétorquent qu’ils n’ont pas appris l’art médical, Jésus répond que soigner les corps permet de soigner aussi les âmes. Jésus, docteur des âmes ? Ce qu’a bien perçu cet écrit du III° siècle, c’est la spécificité de l’action thérapeutique de Jésus comparée à la pratique médicale de son temps. La médecine grecque hippocratique part des symptômes pour identifier l’organe malade; parce qu’elle recherche la cause du dysfonctionnement organique, on peut la nommer pathogénique, ce qui revient à dire qu’elle est orientée sur l’origine de la souffrance. L’action thérapeutique de Jésus n’est pas pathogénique, mais, j’ose le dire, salutogénique; elle ne recherche pas l’origine de la maladie, mais installe le malade dans un état de pardon, de compassion éprouvée, de bien-être avec Dieu, en un mot de salut que Jésus conceptualise sous le label Règne de Dieu. Cette pratique thérapeutique articule le corporel et le spirituel dans une vision proprement holistique de la personne humaine.