Romains 14, 1-23

La concorde de la charité

Saint Grégoire le Grand

Homélies sur Ezéchiel, Homélie VIII, 8-9, SC 327, p. 287s

 

          On voit bien quelle est la valeur de la concorde, quand on constate que, sans elle, les autres vertus ne sont pas des vertus. La vertu d’abstinence est importante, mais si quelqu’un s’abstient d’aliments en jugeant les autres sur ce qu’ils mangent, et condamne en outre les aliments créés par Dieu pour être pris pas ses fidèles en action de grâces, qu’est devenue pour lui la vertu d’abstinence, sinon un nœud coulant pour le péché ? Aussi le psalmiste signifie-t-il que l’abstinence n’est rien sans la concorde, quand il dit : Louez le seigneur par le tambour et en chœur. Dans un tambour résonne un cuir sec ; dans un chœur des voix chantent en accord. Que signifie donc le tambour, sinon l’abstinence, et le chœur, sinon la concorde de la charité ? Dès lors qu’on observe l’abstinence en délaissant la charité, loue bien par le tambour, mais ne loue pas dans le chœur. Il est des hommes qui, par souci d’être des sages plus qu’il ne faudrait, rompent le lien de la paix avec les autres, qu’ils méprisent comme des gens bornés et inintelligents. Aussi la Vérité nous donne-t-elle cet avis : Ayez en vous du sel, et gardez la paix entre vous. Quiconque s’efforce d’avoir le sel de la sagesse doit avoir soin de ne jamais négliger la paix de la concorde. Ce que nous avons dit de ces deux vertus, il faut le penser de toutes les autres. Aussi Paul nous donne-t-il ce redoutable avertissement : Recherchez la paix avec tous et la sanctification sans laquelle personne ne verra Dieu.

          Que rien ne puisse plaire à Dieu sans la concorde, la Vérité en personne le montre : Si tu offres ton présent à l’autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton présent devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis viens offrir ton présent. Voilà ! Il ne veut pas accepter le sacrifice des responsables d’un désaccord. Pesez bien d’après cela ce qu’est le mal de la discorde, puisqu’elle fait rejeter cela même qui délie le péché. Mais les élus, eux, sont toujours unis dans la charité ; et cette charité chante un chant de louange à leur Créateur, et inflige la peine de l’effroi aux esprits du mal.