Isaïe 58, 1-14

De l’observance du Carême

Dom Jean-Charles Nault

Les Bénédictins, sous la direction de Daniel-Odon Hurel, p. 862s

 

          L’ascèse bénédictine est un chemin vers la liberté spirituelle qui appartient à l’amour. Comme telle, l’ascèse constitue une contestation radicale à l’égard du monde où nous vivons, dans la mesure où celui-ci est conduit par le désir de posséder, de jouir et de dominer. L’engagement à la suite du Christ vient substituer, à la volonté de puissance, une volonté d’amour qui nous advient par l’humble et joyeuse reconnaissance de Dieu comme notre Dieu, spécialement avec l’accueil de sa miséricorde dans le pardon offert en Jésus-Christ.

            L’ascèse bénédictine apparaît modérée, attentive à l’homme et tend à promouvoir la vie humaine dans toutes ses composantes. Bien sûr des excès sont toujours possibles, et ils ont pu apparaître à partir de l’époque moderne. Pourtant, Benoît les avait déjà écartés par une mise en garde répétée contre la volonté propre et grâce à l’obligation de faire contrôler ses propres exercices de renoncement par le dialogue avec un père spirituel.

            Depuis l’époque moderne, on a eu tendance à comprendre l’ascèse dans la perspective d’une séparation, voire d’une opposition entre le corps et l’âme. Ce dualisme, diffus dans notre culture classique, a engendré un certain mépris du corps qui explique la tournure pessimiste et mortifiante prise par l’ascèse au cours des derniers siècles. Mais la réaction actuelle en faveur du corps et de la libération de ses appétits reste tributaire de cette opposition et conduit à des excès contraires. Alors, l’ascèse perd son sens et sa place ; on l’accuse d’être oppressive et contraire à l’épanouissement de la personne ; on la soupçonne d’être morbide.

            En réalité, la clef de la compréhension de l’ascèse chrétienne nous vient du mystère de l’Incarnation et de la Rédemption. L’ascèse a pour fonction de nous conformer au Christ en faisant, de notre corps, un instrument de l’Esprit, docile et efficace. S’établit ainsi une correspondance profonde entre notre corps et l’Esprit, caractéristique du réalisme chrétien. D’un côté, l’ascèse authentifie le travail spirituel qui se fait en nous ; de l’autre, toute ascèse, qui ne serait pas animée par la charité et la miséricorde, deviendrait raide et perdrait de sa valeur.

            Saint Benoît, lui, renonce à tout exploit tapageur, sans pour autant mitiger le sérieux de la pratique, ni l’exigence du service désintéressée. L’ascèse qu’il préconise n’est pas une ascèse des forts, mais bien la reconnaissance émerveillée de l’œuvre de la grâce. Elle naît de l’expérience de sa propre impuissance et débouche sur la louange reconnaissante de la miséricorde divine.