1 Corinthiens 11, 17-34

« Ceci est mon Corps »

Beaudouin de Ford

Le sacrement de l’autel, tome 1, SC 93, p. 143s

 

          La nuit où il fut livré, Jésus prit du pain, et, ayant rendu grâces, le rompit, le donna et dit : Ceci est mon Corps. Ce qu’il vient de faire, Jésus le dit : par la parole, il annonce le résultat de son acte. Dans la création du monde, au contraire, il a d’abord dit, puis fait. Au moment de créer la lumière, Dieu dit : Que la lumière soit. Et la lumière fut. Et la lumière une fois créée, on ne lit pas qu’il ait dit : Ceci est la lumière ! Il n’y avait d’ailleurs pas lieu de le dire, la puissance de sa parole étant manifeste : le résultat qui suivait, l’être nouveau qui obéissait étaient évidents ; et c’est la parole qui était mystérieuse, jusqu’à ce que l’œuvre nouvelle soulevât le voile. A mesure qu’il disait : Sois !, les créatures existaient tout à coup, et alors se dévoilait ce qu’il avait voulu dire, lui qui était assez puissant pour faire par sa seule parole. C’est ainsi que les perfections invisibles de Dieu et sa puissance éternelle se révèlent par la création (Romains 1,20). La puissance de Dieu, par laquelle il a commandé que la créature soit, se saisit donc en quelque manière dans les choses créées.

          Mais dans ce changement admirable de l’eucharistie, il en va tout autrement. Un fait si mystérieux, si éloigné de la connaissance humaine, ne pouvait être manifesté que par la parole. C’est pourquoi il a béni et dit : Ceci est mon Corps. Par ce mot, le Verbe Tout-Puissant de Dieu a manifesté une œuvre unique de sa puissance, que nous admirons tous. Il a fait, puis il a dit, afin qu’une fois dit, on croie.

          Sans doute le Christ est-il appelé par analogie vigne, agneau, pierre, et d’autres noms qui peuvent lui convenir métaphoriquement ; mais nul ne s’avisera de penser qu’il s’agisse d’une figure quand il dit : Recevez et mangez, ceci est mon corps. Ce qu’il commande de prendre et de manger n’est pas appelé Corps du Christ par métaphore et en figure, mais est vraiment et au sens propre le Corps du Christ qui est donné pour nous ainsi que le Christ lui-même l’a dit. Les paroles du Christ : Ceci est mon Corps, sont l’exacte vérité, non une figure. Cette parole de vérité, que rien n’ôtera jamais de ma bouche, ne devrait pas être obscurcie par une figure : elle devrait plutôt mettre fin à la figure, qui est la Loi. Dans la vérité, ne cherchons pas une figure de langage : désormais la parole, à elle seule, doit rendre manifeste ce qui jusqu’ici se cachait sous la figure des choses.