Sur Nombres 12, 1-15
La douceur est le chemin qui nous fait entrer dans le Royaume

Evagre le Pontique
Lettre 56

Moïse était le plus doux de tous les hommes, lit-on dans l’Ecriture ; or, justement l’Esprit Saint dit avoir montré ses desseins à Moïse, ce que nous trouvons dans le psaume 102.
Cette douceur, toi, enseigne-la à tes frères, afin qu’ils retournent moins facilement à la colère, ce vice qui, plus qu’aucun autre, fait devenir démon par le trouble du ressentiment. Il est dit dans le psaume (57,5) : Leur colère est comme celle du serpent cruel ; n’est-il pas un démon, en effet, l’homme troublé par sa colère ? Par conséquent, puisse aucun frère ne ressembler au démon !
N’admets donc pas chez toi une ascèse qui soit étrangère à la douceur ! Car celui qui évite le boire et le manger mais excite en soi la colère, ressemble à un navire au milieu de la mer, ayant le démon de la colère au gouvernail.
Dis-moi : pourquoi l’Ecriture, quand elle veut louer Moïse, laisse-t-elle de côté tous les miracles qu’il a faits, et rappelle-t-elle seulement sa douceur ? En effet, elle ne dit pas que Moïse a châtié l’Egypte par les douze plaies et qu’il a fait sortir de là le peuple d’Israël ; elle ne dit pas que Moïse a, le premier, reçu la Loi de Dieu et la science des siècles passés ; elle ne dit pas qu’avec son bâton il divisa la mer Rouge, et que, de la pierre, il fit jaillir de l’eau pour le peuple qui avait soif ; mais elle rapporte que, seul, il fut debout devant Dieu dans le désert, quand il voulait détruire Israël, et qu’il demanda à être détruit, lui, avec les enfants de son peuple. Il plaça devant Dieu son amour divin pour les hommes et leur iniquité en disant : Pardonne-leur, ou efface-moi du livre de vie que tu as écrit. Ainsi parla le doux ; et Dieu préféra pardonner à ceux qui avaient péché plutôt que faire du mal à Moïse.
L’Ecriture laisse donc de côté la fameuse récolte de la manne, et le vol subit des cailles, et le jeûne de Moïse qui dépassait la nature humaine, et la tente symbolique figurant les mondes qui furent et qui seront ; elle ne loue que ceci : Moïse était le plus doux de tous les hommes.
Acquérons, nous aussi, cette douceur de celui qui a dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ; alors il nous enseignera ses chemins, et nous fera reposer dans le Royaume des cieux.