Sur Néhémie 12, 27-47
Qui possède Dieu, possède tout
Père Pierre Grelot
Christus, tome 9, 1962, p. 301s

On alla chercher les lévites partout où ils résidaient. Les lévites. Pour les lévites, Dieu est leur héritage, leur patrimoine, leur part ici-bas : ce principe doit s’entendre en un sens religieux qui, tout de suite, suggère l’existence d’une relation personnelle très profonde entre l’homme et le Dieu vivant. Aussi le lévite, conscient de sa vocation, mettra-t-il sa joie à en accomplir les fonctions : il lui suffira de se tenir en présence de Dieu, de le servir et de bénir son nom. Sa vie sera remplie par un bien d’un autre ordre que les biens de ce monde : la possession de Dieu lui-même, à qui il s’en remettra de tout le reste, puisqu’il n’abandonne jamais ceux qui se confie en lui. Le chantre du psaume 16 exprime admirablement son adhésion totale à cette vocation privilégiée, et la joie qu’il y trouve.
Que l’auteur soit un lévite qui trouve dans sa vocation particulière la source de sa confiance et de sa joie, les versets 5-6 le prouvent : Seigneur, ma part d’héritage et ma coupe, c’est toi qui garantis mon lot ; le cordeau me marque un enclos de délices : oui, mon domaine est pour moi magnifique. Ici le problème des dîmes et des offrandes cultuelles est bien loin de sa pensée : il ne met pas son bonheur dans les biens que Dieu lui assure, mais en Dieu même. Dieu est pour lui une part délicieuse et un héritage enchanteur. La recherche de ce Dieu, et, dans une certaine mesure, sa possession commencée, suffisent à combler son cœur d’homme. D’où cette acceptation du sort qui lui est alloué, cette remise totale de lui-même, cette confiance aveugle qui exclut par avance toute possibilité de déception, cette joie qui est déjà objet d’expérience et qui est attendue en plénitude. Il n’y a absolument rien à changer à tout cela pour que ce psaume devienne la traduction de la vocation presbytérale.
Quand le psalmiste se dit certain que Dieu n’abandonnera pas son âme aux enfers, est-ce là une foi en la vie éternelle ? On sait que, dans l’Ancien Testament, cette expression ne se rencontre que tardivement, chez le prophète Daniel, dans le livre de la Sagesse. Notre texte ne semble pas en être là, mais il traduit une découverte qui est au moins aussi importante : ce n’est pas la possession de tous les biens que Dieu peut donner aux hommes qui assurera leur vrai bonheur ; c’est uniquement la possession de Dieu, ou, plus exactement, la vie avec Dieu. Ce point a pour garant l’expérience actuelle des fidèles, des hommes pieux qui ont compris dans toute sa profondeur leur vocation de lévite : Dieu est ma part. Les intuitions de leur foi anticipent en quelque sorte sur la révélation de la rétribution dans l’au-delà, si bien que le Nouveau Testament n’aura pas de peine à lire, dans ce psaume 16, le cantique de joie du Christ ressuscité (Actes 2, 25-32).