Sur Job 1, 1-22
Job figure de Jésus

Cardinal Jean Daniélou
Les saints païens de l’Ancien Testament, p. 124s

Les chrétiens n’ont pas seulement vu en Job un idéal de vertu, ils ont contemplé en lui une figure du Christ à venir. Déjà au IV° siècle, le vieil évêque de Vérone, Zénon, établit un parallèle entre Job et le Christ. Job, riche de biens terrestres et réduit à la pauvreté, préfigure le Christ, « laissant pour notre amour les biens célestes et se faisant pauvre pour nous faire riches (Traité II, 5). La tentation de Job préfigure celle de Jésus. Job couvert d’ulcères figure le Christ qui, « en prenant la chair, assume toutes les souillures de l’humanité ». Job est insulté par ses amis et Jésus par les prêtres. Job, sur son fumier, figure le Christ au milieu du pullulement du péché. Il est remarquable que Zénon souligne surtout la parallélisme entre l’abjection de Job et la Kénose du Christ. C’est l’Incarnation plus encore que la Passion qu’il souligne dans la comparaison. Et Grégoire le Grand dira de même : « Il fallait que le bienheureux Job, qui annonçait le plus grand des mystères, l’Incarnation, figurât par sa vie celui qu’il décrivait par ses paroles ».
Or ceci va loin. En effet la comparaison de Job et du Christ ne porte pas seulement sur tel aspect particulier, tentation, patience, souffrance. Elle porte sur la condition humaine comme telle, en tant que souffrance, c’est-à-dire en tant que question. Elle déborde les préfigurations juives, elle atteint l’humanité universelle. Lorsque Jésus, dépouillé de ses vêtements, couvert de coups, environné d’opprobres, apparaît au tribunal de Pilate, le juge romain, ce n’est pas Isaac, Moïse ou David qu’il rappelle. Il dépasse les préfigurations juives. Pilate a raison de dire : Ecce Homo. Il est l’homme même réduit à la nudité de sa condition tragique. Et cet homme, c’est Job qui en avait été l’expression parfaite.
Il y a ainsi une réelle et mystérieuse liaison entre Job et Jésus. Job est la question, Jésus est la réponse. Jung a écrit une « Réponse à Job », c’est-à-dire à la pure transcendance. Il voit cette réponse en Marie qui humanise le divin. Mais la vraie réponse était d’abord Jésus. Jésus répond d’abord à Job parce qu’il partage sa souffrance et qu’il est le seul à la partager. La souffrance enferme l’homme dans la solitude. Elle l’établit au-delà de toute communion. Entre Job et ses amis, un abîme est creusé. Ils le regardent avec stupeur comme un être étranger, comme le surgissement de l’insolite au milieu de l’ordinaire, comme marqué d’un signe sacré. Mais ils ne peuvent plus parvenir jusqu’à lui. Seul Jésus franchit cet abîme, descend dans l’abîme de la misère, s’enfonce au plus profond des enfers. Et c’est seulement parce qu’il a d’abord partagé la souffrance de tout être qui souffre qu’en Lui et par Lui tout homme qui souffre retrouve la communion avec les autres hommes.