Sur Job 13,13 – 14,6
« Je déchire ma chair de mes dents, je porte mon âme dans mes mains »
Saint Grégoire le Grand
Morales sur Job, SC 212, 3° partie, livre XI, 45, p. 103s

Pourquoi déchirer ma chair de mes dents ? Dans l’Ecriture, les dents représentent quelquefois les saints prédicateurs, quelquefois aussi les sens intérieurs.
C’est des saints prédicateurs qu’il a été dit à l’Epouse : Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues qui sont montés du lavoir ! Voilà pourquoi l’Ecriture dit aussi à Pierre, un prédicateur, dans une vision symbolique qui lui présentait les païens : Immole et mange, c’est-à-dire broie en eux le vieil homme, fais-les entrer dans le corps de l’Eglise, c’est-à-dire en tes propres membres.
D’un autre côté, l’acception des sens intérieurs pour les dents est attestée par ces paroles du prophète Jérémie : Il m’a brisé les dents selon le nombre. C’est par les dents que les aliments sont triturés pour être avalés. Aussi est-il légitime d’entendre par les dents les sens intérieurs qui, pour ainsi dire, mâchent et morcellent une à une nos pensées qu’ils brassent et dirigent ensuite vers l’estomac de la mémoire. Or ces dents, le prophète les dit brisées selon le nombre : c’est à la mesure de chaque péché que se développe l’aveuglement de l’intelligence dans les sens intérieurs et c’est en fonction de notre comportement extérieur que s’émousse en chacun de nous ce qu’il a pu comprendre du monde intérieur et invisible. Aussi l’Ecriture est-elle en droit d’ajouter : Tout homme qui mangera un raisin vert aura les dents émoussées. Que peut être en effet le raisin vert, sinon le péché ? Le raisin vert, c’est le fruit avant la saison ; et quiconque désire se rassasier des délices de la vie présente se hâte, pour ainsi dire, de manger le fruit avant la saison. Celui donc qui mange un raisin vert aura les dents émoussées, parce qu’en celui qui se repaît des délices du monde présent, les sens intérieurs se nouent : il ne peut plus mâcher les nourritures spirituelles, c’est-à-dire, les comprendre : ce qui fait la délectation de ces sens dans les biens extérieurs les émousse pour les biens du dedans. Et quand l’âme se repaît du péché, elle n’a pas la force de manger le pain de justice parce que les dents, nouées par l’habitude du péché, ne peuvent manger ce qui, au fond de nous-mêmes, a un goût de justice.