Sur Luc 12, 13-21
Détachement des richesses

Saint Ambroise de Milan
Traité sur l’évangile de saint Luc, SC 52, p. 51s

Qui m’a établi pour être votre juge ou pour faire vos partages ? Tout ce passage est ordonné à l’acceptation de la souffrance pour confesser le Seigneur, soit par mépris de la mort, soit par l’espoir de la récompense, soit sous la menace du supplice durable auquel il ne sera jamais accordé relâche. Et comme il arrive souvent que c’est l’avidité qui tente la vertu, on ajoute aussi le commandement et l’exemple de la supprimer quand le Seigneur dit : Qui m’a établi pour être votre juge ou pour faire vos partages ? Le Seigneur a sujet d’écarter le terrestre, étant descendu pour les choses divines, et il ne daigne pas être juge des litiges et arbitre des richesses, ayant à juger les vivants et les morts et à décider des mérites. Il faut donc considérer non ce que vous demandez, mais qui vous sollicite, et ne pas croire qu’un esprit appliqué aux grandes choses peut se laisser importuner des moindres. Ce n’est donc pas sans raison qu’est éconduit ce frère qui prétendait occuper des biens périssables par le dispensateur des biens célestes, alors qu’entre frère ce n’est pas à l’intermédiaire d’un juge, mais à l’affection de s’entremettre et de répartir le patrimoine. D’ailleurs, c’est le patrimoine de l’immortalité, non de l’argent que l’on doit rechercher : car il est vain d’amasser des richesses sans savoir si on en aura l’usage. Tel est celui dont les greniers remplis craquaient sous les moissons nouvelles et qui préparait des magasins pour cette abondance de récoltes, sans savoir pour qui il amassait. Car nous laissons dans le monde tout ce qui est du monde, et nous voyons nous échapper tout ce que nous amassons pour nos héritiers ; nous n’avons à nous ce que nous ne pouvons emporter avec nous. Seule la vertu accompagne les défunts, seule nous suit la miséricorde qui, nous conduisant et nous précédant aux demeures du ciel, acquiert aux défunts les tabernacles éternels. Puisque l’âme est revêtue de l’enveloppe du corps, et le corps animée par l’énergie de l’âme, il est absurde de croire que les moyens de vivre nous manqueront quand nous avons la réalité permanente de la vie.