Sur Genèse 12,1-9 + 15, 1-6 ou Siracide 45, 1-16 ou Ephésiens 4, 1-24
L’humilité
Père Adalbert de Vogüé
La Règle de saint Benoît, VII, Commentaire doctrinal et spirituel, p. 175s

Humilité, tel est donc le mot par lequel le Maître et Benoît, poussant à fond une suggestion de Cassien, récapitulent toute leur doctrine. Ce raccourci s’autorise de l’Evangile : Quiconque s’humilie, sera élevé. Prise à la lettre et dans sa plénitude, cette Parole du Christ signifie que l’humilité élève jusqu’à Dieu et à la vie éternelle. L’humilité rend agréable à Dieu et aux hommes, ici-bas et dans l’éternité.
Mais la maxime évangélique ne prend toute sa force que si l’on y reconnaît, avec saint Paul, l’expression du mystère du Christ lui-même. Jésus ne l’a pas seulement proclamée, il l’a vécue. L’hymne de la lettre aux Philippiens ne trouve pas d’autres mots pour célébrer les deux phases de sa destinée : Il s’est humilié… C’est pourquoi Dieu l’a exalté.
Ainsi le verbe « s’humilier », comme le verbe « aimer », est susceptible d’exprimer profondément le salut accompli en Christ. Quand on a dit que le Christ m’a aimé et s’est livré pour moi, il n’est pas inutile d’ajouter que le Christ s’est dépouillé en prenant la forme d’esclave… Il s’est humilié en se faisant obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur la croix. Descendre du ciel, monter au ciel : n’est-ce pas en ce double mouvement d’abaissement et d’exaltation que le symbole de la foi enferme la geste rédemptrice du Seigneur Jésus ?
Nos Règles auraient pu expliciter cette signification christologique du Celui qui s’humilie sera exalté. Elles ne l’ont pas fait, pas plus que le Maître n’a tiré parti de sa présentation du Christ doux et humble de cœur. Il reste que le Christ est bien pour lui le Seigneur de l’humilité.
On songe, enlisant ces mots, à cette humilité du Christ qui revient plusieurs fois, avec ou sans la pauvreté du Christ, dans le quatrième livre des Institutions de Cassien. En se dépouillant et en s’humiliant, le moine entre, selon Cassien, dans le mystère du Christ. C’est l’humilité de Jésus et sa pauvreté qu’il s’approprie. De même que la première phase de l’existence de Jésus Christ a consisté à se priver de ses richesses divines pour se faire homme, puis à descendre parmi les hommes eux-mêmes au dernier rang, de même le moine renonce d’abord à toute propriété, puis à toute indépendance et à toute fierté. Ces deux renoncements sont les deux temps d’un même mouvement d’abaissement, à l’image et à l’imitation du Christ. Quiconque s’humilie, sera élevé.