Sur Qohélet 11,7 – 12,14
Lettre au Maître Henri Murdac

Saint Bernard
Lettres, SC 556, tome III, Lettre 106, p. 111s

Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que tu flottes entre prospérité et adversité, toi qui n’a pas encore posé les pieds sur le roc ? Mais si tu jures et décides d’observer et de sauvegarder les jugements de la justice du Seigneur, qu’est-ce qui pourra te séparer de l’amour du Christ ? Oh ! Si tu savais ce que je veux dire ? L’œil n’a point vu, hors toi, Dieu, ce que tu as préparé pour ceux qui t’aiment. Mais toi, frère, qui, à ce que j’ai entendu dire, lis les prophètes, penses-tu comprendre ce que tu lis ? Car, si tu le comprends, tu perçois que le sens de cette lecture du Prophète est le Christ. Si tu désires le saisir, tu peux l’atteindre plus vite en le suivant qu’en le lisant. Pourquoi cherches-tu le Verbe dans le verbe, lui qui a déjà été fait chair sous nos yeux ? Toi donc, crains-tu de manquer de force, alors que la Vérité promet de te réconforter ? Certes, si même l’eau ténébreuse venue des nuées de l’air suffit à te charmer, combien plus joyeusement puiseras-tu aux sources du Sauveur, toutes pleines de sérénité.
Oh ! Si seulement tu pouvais, ne serait-ce qu’une fois goûter à la fine fleur de froment dont se rassasie Jérusalem ? Comme tu laisserais volontiers la croûte à ronger aux écrivailleurs juifs ! Oh ! Si seulement je méritais de t’avoir un jour comme compagnon à l’école de piété sous l’autorité du Maître Jésus ? Oh ! Comme je partagerais volontiers avec toi les pains chauds, que, fumant encore et tout juste sortis du four, le Christ rompt fréquemment pour ses pauvres dans sa générosité céleste ! Crois en mon expérience : tu trouveras plus dans les bois que dans les livres. Les arbres et les pierres t’enseigneront une leçon que tu ne pourrais apprendre des maîtres. Les montagnes ne ruissellent-elles pas de douceur, les collines ne laissent-elles pas couler le lait et le miel, les vallées ne regorgent-elles pas de froment ? Il me vient à l’esprit tant de choses que j’ai à te dire que je me retiens avec peine. Mais parce que tu ne me demandes pas une leçon, mais une prière : que le Seigneur ouvre ton cœur à sa loi et à ses préceptes. Adieu.
Guillaume et Yves, eux aussi, se joignent à ma requête. Que te dire à ce sujet ? Que je souhaite te voir, et pourquoi, tu le sais, mais à quel point, nous ne pouvons le dire, et de même, tu ne peux le savoir. Nous prions Dieu pour qu’il t’accorde au moins de nous suivre là où tu aurais dû nous précéder, de sorte que nous te tenions en cela aussi comme un maître d’une si grande humilité que tu n’as pas répugné, toi le maître, à suivre tes disciples.