Sur Esther 3, 1-11
Décryptage et anticipation
Père Paul Beauchamp
Cinquante portraits bibliques, Esther ou les déguisements, p. 255s

L’argument du livre d’Esther est relativement simple, bien que le récit déroule beaucoup d’arabesques. Un complot s’est formé au sein de l’empire des Perses pour exterminer toute la population juive. Esther, une exilée juive devenue l’épouse du roi Assuérus, empêche le projet d’aboutir.
D’un côté, tout est fait, dans la manière d’écrire, pour captiver le lecteur qui ne sent pas en présence d’un récit historique. De l’autre, la situation de départ, cette mise en œuvre d’une solution finale, donne à cet écrit romanesque un incomparable poids de réel. Jamais encore Israël n’avait eu à affronter cette menace, et jamais, semble-t-il, elle ne se présentera sous cette forme avant le XXème siècle. Le lecteur oscille entre le moins réel et le plus réel.
Outre sa portée d’anticipation, le livre d’Esther a un appui dans l’expérience. Il témoigne des griefs élevés contre les Juifs : peuple particulier, dispersé, séparé au milieu des peuples ; leurs lois sont différentes de celles de tout peuple, et ils n’exécutent pas les lois royales, tel est le discours de leurs accusateurs. Or ces formules sont anachroniques, elles reflètent les propos qui seront tenus en milieu grec, alors que les Perses avaient été garants de la loi du Dieu du ciel pour les Juifs. Les historiens situent donc Esther moins de trois siècles avant notre ère.
Cependant, beaucoup d’encre a coulé pour justifier ou pour déplorer le fait que ce récit ait trouvé place dans le Canon des Ecritures. Sa force d’anticipation n’apparaissait pas à nos prédécesseurs aussi clairement qu’aux générations proches du génocide hitlérien et de plusieurs autres. On était surtout choqué par le dénouement. En effet, Assuérus concède aux Juifs le droit d’exécuter ceux qui, dans la population, s’étaient rendus coupables ou complices de cette tentative de génocide contre leur peuple : ces représailles auraient atteint soixante-quinze mille personnes.