A l’écoute du silence de nos morts
Père Karl Rahner
L’homme au miroir de l’Année liturgique, p. 243s

N’oublions pas nos morts, nos vivants de l’au-delà. Notre amour et notre fidélité à leur égard devraient être une pierre de touche de notre foi en Dieu, qui est le Dieu de la vie éternelle. N’allons pas fermer l’oreille de notre cœur au silence des morts, car un tel silence est le dernier mot, et le plus secret, de leur amour. Ah ! Puisse cette parole qui résonne au plus intime de nous-mêmes nous accompagner aujourd’hui et tous les jours ! Car s’ils nous ont quittés, c’est pour que leur amour pour nous acquière, en pénétrant dans le mystère de Dieu, son maximum d’intimité et de proximité.
O mon âme, n’oublie pas les morts, car ils vivent, et leur vie n’est rien d’autre que la tienne telle qu’elle sera lorsque, débarrassée des voiles qui te dissimulent sa vraie nature, elle parviendra à son épanouissement dans le sein de la lumière éternelle ! Mais comment, de leur côté, nos vivants de l’au-delà pourraient-ils, eux qui vivent près du Dieu de la vie, oublier les morts que nous sommes ? Dieu, qui en leur faisant le don de lui-même, leur a octroyé une garantie sans limite, ne leur accordera-t-il pas aussi la joie de voir leur silence devenir pour nous la manifestation la plus éloquente de l’amour qu’ils nous portent, le langage qui conduira l’amour que nous leur gardons jusqu’au lieu de son épanouissement suprême, la vie et la lumière dont ils jouissent eux-mêmes ?
Si nous faisons vraiment de la Toussaint une célébration de foi, d’amour et de silence ; si notre vie est, et ne cessera d’être de plus en plus, la vie des morts qui nous ont précédés, marqués du signe de la foi, dans la sombre nuit de la mort, là où « nul ne peut plus travailler », alors notre vie sera de plus en plus, par la grâce de Dieu, une vie de foi en sa lumière, au milieu de notre nuit d’ici-bas ; et tout en prenant peu à peu le visage de la mort, nous vivrons avec ces vivants qui sont entrés avant nous dans le jour lumineux de la Vie, là où « nul n’a plus besoin d’agir », parce que Dieu lui-même est ce Jour, la plénitude de toute réalité, le Dieu des vivants.
O mon âme, n’oublie pas les morts ! Appelle-les dans ton cœur, mets-toi à l’écoute de leur silence, apprends d’eux l’unique nécessaire, célèbre la fête de tous les saints. Et c’est alors que le Dieu de tous les vivants n’oubliera pas à son tour les morts que nous sommes, et qu’il sera un jour notre vie à nous aussi, dans une unique Toussaint qui ne finira pas.