Sur Exode 1, 8-16 . 22

Les Innocents

 

Père Denis Buzy

Saints et Saintes de l’Evangile, p. 68s

 

Le départ précipité des Mages eut une conséquence immédiate : Hérode entra dans une violente colère. Alors la première consigne transmise du ciel pour le nouveau roi des Juifs est de disparaître, de fuir, de s’échapper ! Aussi le messager céleste s’adresse à Joseph : « Vite, lève-toi, il n’y a pas un instant à perdre : fuis en Egypte ». Joseph, l’enfant et sa mère partirent, s’enfoncèrent dans la nuit. Plus encore peut-être que de nous instruire d’un départ pour l’Egypte, l’évangéliste tenait à nous faire savoir que Jésus en était revenu, suivant la prophétie d’Osée : D’Egypte, j’ai rappelé mon fils.

         Ayant manqué sa proie à deux reprises, d’abord les Mages dont la candeur a réussi à se jouer de son astuce, puis le Messie qui a disparu, Hérode assouvit sa vengeance avec la maîtrise consommée dont il a donné tant d’exemples dans sa vie : Il envoya tuer tous les enfants de Bethléem et de tout le territoire, depuis l’âge de deux ans et au-dessous.

Il devait être important pour l’évangéliste que de petits innocents soient mis à mort pour le Messie, à sa place ; peut-être était-il encore plus important, pour lui, de pouvoir justifier les lamentations de Rachel : Une voix s’est fait entendre à Rama, des pleurs et des sanglots sans nombre ! C’est Rachel qui pleure ses enfants et refuse d’être consolée parce qu’ils ne sont plus.

         Lorsque les prisonniers de Nabuchodonosor étaient concentrés à Rama pour être déportés en Chaldée, le prophète Jérémie, par une prosopopée hardie et heureuse, évoquait Rachel, la mère de Joseph et de Benjamin, la grande aïeule, qui, se levant de son tombeau, poussait, sur ses enfants exilés, des cris de désespoir maternel. Comment saint Matthieu ose-t-il évoquer le souvenir de Rachel à propos de quelques petits enfants de Bethléem ? De part et d’autre, un grand deuil avec force lamentations, et Rachel considérée au sens large comme l’une des aïeules d’Israël.

En outre, cet épisode sanglant sert de liaison entre l’Ancien et le Nouveau Testament : de l’un à l’autre, l’histoire se renouvelle et se prolonge. De nouveaux deuils provoquent de nouvelles larmes chez les aïeules les plus vénérées du peuple choisi, comme Rachel. Le Royaume de Dieu continue à se bâtir, à travers les siècles, avec le sang des justes et des innocents.