Sur Matthieu 5, 13-16
« Vous êtes sel, vous êtes lumière »
Dietrich Bonhoeffer
Le prix de la grâce, sermon sur la montagne, p. 78s

Vous êtes le sel de la terre. Il n’est pas dit : vous devez être le sel. On ne fait pas dépendre de la volonté des disciples qu’ils acceptent ou non d’être sel. On ne leur lance pas un appel les conviant à être le sel de la terre. Car, ils le sont, qu’ils le veuillent ou non, par la puissance de l’appel qui les atteints. Vous êtes le sel. Il n’est pas dit : vous avez le sel. Ce serait opérer une réduction que de vouloir considérer comme identique le message des apôtres et le sel. C’est de leur existence tout entière qu’il s’agit, dans la mesure où elle est dotée de nouvelles bases par l’appel de Jésus à l’obéissance, de cette existence dont parlaient les Béatitudes. Quiconque vit dans l’obéissance parce qu’il a été atteint par l’appel de Jésus, est, par cet appel même, dans son existence entière, sel de la terre.
Certes, il y a l’autre possibilité : le sel peut perdre sa saveur, cesser d’être du sel ; il cesse d’être efficace. Alors, évidemment, il n’est plus bon à rien, il n’y a plus qu’à le jeter. C’est la marque distinctive du sel. Toute chose doit être salée ; tout, jusqu’à la matière la plus corrompue, peut être sauvée par le sel ; seul, le sel qui a perdu sa saveur est corrompu, sans espoir. C’est le revers, c’est le jugement menaçant qui pèse sur l’Eglise des disciples. La terre doit être sauvée par l’Eglise ; seule l’Eglise, qui cesse d’être ce qu’elle est, est perdue sans espoir. L’appel de Jésus-Christ signifie qu’on doit être le sel de la terre ou bien être anéanti, qu’on doit obéir, sinon l’appel lui-même anéantit celui qu’il a appelé. Il n’y a pas de seconde possibilité de sauvetage, il ne peut y en avoir.
Ce qui, avec l’appel de Jésus, est promis à la communauté des disciples, ce n’est pas seulement l’efficacité invisible du sel, mais aussi l’éclat de la lumière. Vous êtes la lumière du monde ; encore une fois, ce n’est pas : vous devez être ; l’appel les a rendus tels. Dès lors, il ne peut absolument pas en aller autrement : ils sont une lumière que l’on voit. Les disciples ont déjà été faits lumière du monde par l’appel à l’obéissance. Une fois de plus, ce n’est pas : vous avez la lumière du monde, mais vous êtes la lumière. La lumière, ce n’est pas quelque chose qui vous a été donné, c’est vous-même. Et parce que vous l’êtes, vous ne pouvez plus rester caché. La lumière brille, et la ville située sur la montagne ne peut être cachée ; elle ne le peut pas, elle est visible de très loin. Et cette ville située sur la montagne, c’est la communauté des disciples. Il leur faut maintenant être ce qu’ils sont, ou bien ils ne sont plus de ceux qui obéissent à Jésus. S’enfuir dans l’invisibilité, c’est renier l’appel reçu. Une Eglise de Jésus qui se veut Eglise invisible n’est plus une Eglise qui obéit : On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier.