Sur Matthieu 6, 1-6 . 16-18
Purifier son âme pendant le Carême

Saint Léon le Grand
Semons, SC 49, Troisième sermon de carême 1, p. 39s

Certes, en tout temps, il nous faut vivre sagement et saintement, et donner pour but à nos vouloirs, à nos actes ce que nous savons être agréable à Dieu. Cependant, à l’approche des jours qu’illustrèrent les sacrements de notre salut, nous devons apporter un soin plus attentif à purifier nos cœurs et un zèle plus grand à nous adonner aux exercices de la vertu : notre dévotion doit dépasser ce qu’elle a accoutumé de faire. Plus sublime est la fête, mieux paré doit s’y trouver celui qui la célèbre. C’est une pratique raisonnable et en quelque façon religieuse de se produire aux jours de fête avec un vêtement plus beau, et de manifester, par l’ornement du corps, la joie de l’esprit. Apportons alors aussi un soin plus généreux à décorer la maison même de la prière d’une parure magnifique : n’est-il pas dès lors convenable que l’âme chrétienne, temple véritable et vivant de Dieu, se pare elle-même avec mesure, et, pour célébrer le mystère de sa rédemption, prenne jalousement garde qu’aucune tache d’injustice ne la ternisse, qu’aucune ride de duplicité ne la défigure ? A quoi bon, en effet, une recherche extérieure qui affiche les apparences de l’honorabilité, si l’intérieur de l’homme est souillé par l’infection de quelque vice ? Tout ce qui ternit la pureté de l’âme et le miroir de l’esprit doit donc être soigneusement effacé et, en quelque sorte, gratté pour retrouver l’éclat premier ! A chacun de scruter sa conscience et de se présenter soi-même devant soi pour un jugement personnel rigoureux. Qu’il voie si, dans le secret de son cœur, il trouve cette paix que donne le Christ, si le désir spirituel n’est combattu en lui par aucune convoitise charnelle, s’il ne méprise pas ce qui est humble, s’il ne désire pas les grandeurs, s’il ne se réjouis pas d’un profit injuste, s’il ne met pas sa satisfaction dans l’accroissement immodéré de ses richesse, si enfin le bonheur d’autrui ne le fait pas brûler d’envie ou le malheur d’un ennemi tressaillir de joie. Si, peut-être, il ne trouve en lui aucun de ces mouvements déréglés, qu’il recherche soigneusement, dans un sincère examen, de quelle nature sont ses pensées habituelles : ne consent-il jamais aux représentations des vanités, retire-t-il au plus tôt son esprit de celles qui flattent dangereusement ? En vérité, n’être remué par aucun attrait, chatouillé d’aucun désir, cela n’appartient pas à la vie présente qui toute n’est que tentation par laquelle est certainement vaincu quiconque ne redoute pas de l’être. C’est l’orgueil que de prétendre éviter facilement le péché puisque cette présomption même est péché, selon la parole du bienheureux apôtre Jean : Si nous nous prétendons sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous.