Sur Lamentations 5, 1-22

La descente du Christ au sein de la terre

 

Père Karl Rahner

L’homme au miroir de l’année chrétienne, p. 147s

 

Il est donc mort, celui qui est en même temps le Fils du Père céleste et le Fils de l’homme, la plénitude éternelle de la divinité et de son océan de bonheur sans rivages du fait qu’il est la Parole du Père avant tous les siècles, et un fils de notre terre du fait qu’il a pris chair dans le sein de la femme bénie entre toutes les femmes. Il est mort, celui qui est issu à la fois de la plénitude de Dieu et de l’indigence de notre terre. Mais qu’est-ce donc que la mort ?

Ah ! Comme ici un spiritualisme bien peu chrétien rétrécit notre horizon ! N’allons-nous pas nous figurer que l’esprit et l’âme du Christ, réceptacles de son éternelle divinité, auraient rompu toutes leurs attaches avec ce monde et avec cette terre pour s’en aller vers la Gloire de Dieu, loin du monde créé, le corps, qui le reliait à la terre, brisé par la mort. Sitôt après avoir dit que le Fils de Dieu est mort, nous proclamons dans le Credo qu’il est descendu au royaume des morts, et qu’il est ressuscité. Voilà qui donne à l’expression mourir un sens tout différent de celui d’une fuite du monde que nous sommes toujours tentés d’associer à l’idée de la mort. Jésus lui-même n’a-t-il pas déclaré qu’il descendrait dans le sein de la terre ? C’est là, dans ces profondeurs, qu’il a pénétré. S’il s’est laissé vaincre par la mort, c’est pour être englouti avec elle dans les profondeurs les plus secrètes du monde.

S’il est ressuscité, ce n’est pas pour quitter une bonne fois et à jamais notre terre, ou pour renaître, à travers les douleurs de la mort, à la vie et à la lumière de Dieu en laissant derrière lui le sombre sein de la terre dans un vide désolé et sans espoir. Non, il est ressuscité dans son corps. Ce qui veut dire que, à ce moment-là, il commence à transformer le monde à tout jamais, qu’il naît une seconde fois comme enfant de la terre, mais d’une terre transfigurée, libérée, affranchie de toute limite, d’une terre qui trouve en lui sa base éternelle et qui est délivrée à jamais de la mort et de la vanité. Il est ressuscité non pour montrer qu’il quitte définitivement le tombeau de notre terre, mais pour révéler que, par sa mort, la Vie, celle qui est sous le signe de la liberté et de la béatitude, est et demeure à jamais plantée au cœur de notre terre, en plein milieu du cadre étroit et douloureux de notre terre. Le Christ est désormais au cœur de toutes les humbles choses qui composent la vie de notre terre, il est là cœur de ce monde terrestre et sceau secret qui garantit sa valeur éternelle.