sur Lamentations 3, 1-33

Crucifier le vieil homme

Saint Aelred de Riévaulx

Sermons pour l’année 3, Pain de Cîteaux 18, p. 115s

 

Comment faire mourir notre vieil homme ? Nous avons dit cela à propos de la manière de vivre. Que dirons-nous à propos de la manière de mourir ? Ecoutez plutôt l’Apôtre : Sachant que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que soit détruit ce corps de péché, afin que nous ne soyons plus asservis au péché. Voilà le bienheureux genre de mort qui nous convient : tout ce qui est vieux en nous, tout ce qui appartient à l’ancienne vie, que cela soit crucifié, et jusqu’à ce que mort s’ensuive ! Tous les vices et les habitudes mauvaises appartiennent à l’ancienne vie. Mais comment cela doit-il être crucifié ?

Vient à surgir la colère qui nous incite à dire ce qui ne convient pas : cela appartient à la vétusté. Qu’elle soit donc crucifiée ! Comment ? Prends les clous des commandements de Dieu et enfonce-les dans ce qui est vieux de telle sorte que cela ne puisse plus bouger. Pense aussitôt à ce que dit le Seigneur : Quiconque se met en colère contre son frère sera reconnu coupable par un jugement. Voyez-vous quels sont les clous ? Quel est celui qui ne pourrait, au moyen de ces clous, crucifier si bien sa langue qu’elle ne puisse plus bouger ? En effet, si quelqu’un se met en colère dans son cœur, il sera reconnu coupable et passible de jugement ; peut-être même doit-il être condamné à une peine temporelle ou à une peine éternelle. Et pour juger de cela, on tient compte du motif de la faute, de l’intention de celui qui l’a commise, de la manière dont cela s’est passé et de la personne concernée. Dès lors, quel est celui qui, par la crainte d’un tel jugement  comme par un clou, ne chercherait à réprimer sa colère, et, pour ainsi dire, à se crucifier ? Si quelqu’un non seulement se met secrètement en colère contre son frère, mais également manifeste cette colère par un éclat de voix, si insignifiant soit-il, il est reconnu coupable et doit être jugé au sanhédrin, non pas pour savoir s’il doit être condamné, car il est certain qu’il doit l’être, mais pour décider de quelle peine il est passible. Dès lors, quel est celui qui, considérant cela, n’irait jusqu’à empêcher si possible la moindre altération de son visage ? Enfin, si celui qui invective ouvertement son frère en l’appelant « fou » est explicitement voué dès à présent aux peines de l’enfer, comment, sous l’effet d’une telle menace, comme au moyen d’un clou, ne chercherait-on pas à immobiliser sa langue pour qu’elle ne puisse plus bouger ?