1 Samuel 31,1-4 . 2 Samuel 1,1-16

David apprend la mort de Saül et de Jonathan

Laurent Cohen

Le roi David, une biographie mystique, p. 66s

 

Déroutante, la réaction de David à l’annonce de la mort de Saül et de Jonathan ! Déroutante, elle va l’être au plus haut point ! Face à la nouvelle, David n’éprouve ni soulagement, ni sentiment de délivrance, mais une détresse vertigineuse ; il déchire sa tunique, jeûne, se lamente, maudit et condamne l’Amalécite qui a achevé Saül, puis s’effondre. Mais à son deuil, il veut donner un sens ; de sa souffrance, David veut faire une stèle ; la mort de Jonathan, son double spirituel, et la fin odieuse de Saül lui paraissent tellement décisives à l’échelle de toute l’histoire d’Israël qu’il va les transformer en œuvre d’art, qu’il va s’en inspirer pour composer Le Chant de l’Arc, une des plus vibrantes élégies hébraïques.

Il est un point sur lequel le rédacteur biblique ne laisse planer aucun doute : c’est ce recours à l’écriture et ce sursaut poétique qui permettront à David de s’arracher au traumatisme dû à la chute de Saül et de Jonathan ; face à ce drame total, il se réfugie au plus profond de lui-même, et en extrait le témoignage de sa blessure. De surcroît, la Bible ajoute qu’il conçoit Le Chant de l’Arc afin que « ce poème soit transmis d’une génération à l’autre », et se voie ainsi pleinement intégré à la mémoire juive. Ce chant témoigne amplement de la puissance artistique de David ; c’est un poème mystique où s’expriment le refus et la révolte de David face à la perte de Saül et de Jonathan. David pousse un cri, il ne peut se résoudre à la ruine de Saül et des siens, il pleure sur l’indignité de leur fin. Il va jusqu’à vouer les Monts de Gelboé, là où se sont déroulés les combats, à l’aridité, à la sècheresse, comme si, dans sa fureur, il appelait la terre elle-même à conserver la cicatrice de la tragédie. De plus, les généraux philistins ont profané le cadavre de Saül et de Jonathan ; mais, dans leur sauvagerie, c’est le Nom du Dieu d’Israël lui-même qu’ils ont cherché à souiller, ainsi qu’il en ressort de ces versets : Ils tranchèrent la tête de Saül, et le dépouillèrent de ses armes, qu’ils envoyèrent dans le pays des Philistins, à la ronde, pour répandre la nouvelle dans les temples de leurs idoles, et parmi le peuple. Ils déposèrent ses armes dans le temple d’Astarot et attachèrent son corps à la muraille de Beth-Shan.