Sur Isaïe 6, 1-13

La rencontre du Dieu vivant : l’expérience de foi, mort et résurrection

 

Père Bernard Renaud

La vocation d’Isaïe, expérience de la foi, VS 119, p. 134s

 

Devant cette grandiose théophanie et cette révélation du Dieu terrible en sainteté, Isaïe se sent comme anéanti, foudroyé par cette puissante décharge d’énergie divine, consumé par sa flamme dévorante. De sa bouche s’échappe un cri d’effroi : Malheur à moi, je suis perdu. L’expérience ici n’engendre pas seulement la crainte devant le lumineux, la terreur devant un sacré impersonnel plus ou moins arbitraire, aux réactions imprévisibles. La Sainteté de Dieu est perçue comme une sainteté morale dont le feu consume le péché, et avec lui celui qui s’y est livré. Isaïe se sent englobé dans cette condamnation d’Israël que Dieu vient lui notifier. La théophanie l’a littéralement mis à nu, et la sentence l’atteint personnellement : Tu es pécheur, tu es condamné. Aussi le cri d’effroi s’achève-t-il en aveu : Malheur à moi, je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures.

A la doxologie répond la confession des péchés. Mesurons bien la portée des expressions : les lèvres, organe de la parole, livrent les pensées du cœur. Dans la perspective globalisante de l’anthropologie hébraïque, être impur des lèvres équivaut à être impur de cœur. C’est donc l’être, tout l’être, au plus profond de lui-même, qui se trouve marqué par le péché. On pourrait presque dire que l’homme fait alors corps avec son péché. Il ne se sent pas seulement responsable de fautes définies, délimitées, il se sait irrémédiablement corrompu. Avant de le consumer, le feu de la sainteté divine s’est fait lumière, projetant dans les recoins les plus sombres du cœur humain le faisceau impitoyable de ses rayons éblouissants. Malheur à moi, car j’ai vu le Seigneur. Quelle leçon ! La découverte du péché commence par la rencontre de Dieu, et donc par l’initiative divine qui se révèle comme il le veut et quand il veut. Si paradoxal que cela puisse paraître, la révélation du péché est une grâce : ce n’est pas en se regardant que l’on peut sonder les abîmes de sa révolte, c’est seulement dans le face à face éblouissant où Dieu me dit dans la silencieuse parole de son apparition : Tu es pécheur. Du même coup, la révélation se fait sentence : Tu es condamné. Isaïe rejoint la déjà longue tradition biblique pour laquelle voir Dieu, c’est mourir.

Et le miracle se produit, comme il s’est produit pour Jacob : J’ai vu Dieu face à face et j’ai eu la vie sauve. Que s’est-il passé ? L’adhésion même du prophète à la sentence de mort va le faire naître à la vie. Là n’est pas le moindre paradoxe de cette rencontre avec Dieu. En acceptant d’être purifié par la braise incandescente, il se laisse tout entier consumer, dévorer par le feu divin. Mais c’est alors qu’il devient vivant.