Sur Isaïe 3, 1-15

L’anarchie à Jérusalem

 

Père Jean Steinmann

Le prophète Isaïe, sa vie, son œuvre et son temps, p. 73s

 

Le châtiment de Jérusalem annoncé par Dieu à Isaïe est en train de commencer. Avant de faire intervenir les ennemis du dehors, Dieu ruine au-dedans les forces vives de résistance intérieure du royaume. Il en sape les fondations. Il décime l’aristocratie. Et il lui suffit de laisser agir les germes d’anarchie et de désagrégation. Au moment où surviendra la crise décisive, le pays sera dépourvu de ses cadres : généraux expérimentés, ministres, conseillers. Il sera gouverné par des jouvenceaux.

Ce retrait des anciens et des capitaines dont parle Isaïe n’est pas à entendre forcément de leur massacre à la guerre. Comme partout, c’était plutôt la jeunesse qui, en Juda, faisait les frais des batailles. Il s’agit vraisemblablement de disgrâces. Achaz, à son avènement, est à peine âgé de vingt ans. Un gamin, dit Isaïe, dominé par la reine-mère et les femmes de la cour. Il a probablement mis à l’écart les anciens conseillers d’Ozias et de Joatham, comme Roboam le fit pour les vieux serviteurs de Salomon. Ce mouvement atteint même la province ; dans les villages, les factions rivales en viennent aux mains.

La racine du mal est l’indifférence des chefs à l’égard de Dieu, le cynisme avec lequel les dirigeants ont cessé de se considérer comme des délégués de Dieu pour tirer profit de leur autorité. Le diagnostic porté par Isaïe sur la situation de Jérusalem est le même que celui qu’il portait sur Samarie. Le prophète reprend la grande image du poème de la Parousie : Dieu, debout pour juger le peuple, acquitte les pauvres et les opprimés, mais incrimine les chefs : Vous dévastez la vigne. Le chant de la vigne n’était donc pas dirigé contre la classe populaire, mais contre l’aristocratie et le gouvernement. La dernière image du poème est d’un mouvement admirable : De quel droit osez-vous broyer le visage des pauvres ? Amos, s’il vivait encore, pouvait applaudir au génie de son grand disciple et approuver les revendications en faveur des opprimés.