Sur Luc 1, 39-45

La visite de Marie à Elisabeth

Cardinal Jean Daniélou

Jean Baptiste, témoin de l’Agneau, p. 26s

 

C’est un même dessein que l’Ancien et le Nouveau Testament déploient devant nous. Les circonstances de la vie de Jean Baptiste marquent toute une continuité avec l’Ancien Testament en même temps que son orientation vers le Nouveau. L’épisode de la Visitation nous manifeste cette continuité. Les exégètes ont remarqué qu’en nous racontant l’épisode de la visite de Marie à Elisabeth, l’évangéliste Luc s’est inspiré d’un texte de l’Ancien Testament qui nous décrit la marche de l’Arche d’Alliance vers le Temple de Jérusalem. L’Arche, où Dieu demeure, est transportée vers Jérusalem ; David, sur son passage, danse et bondit de joie. Et avant que l’Arche arrive chez Obed-Edom, dans les montagnes de Juda, David s’écrie : Comment se peut-il que l’Arche du Seigneur vienne jusqu’à moi ?

Le rapprochement avec la scène de la Visitation est saisissant. Les mots sont les mêmes. Ici et là, il s’agit de monter à la montagne de Juda ; comme David bondit devant l’Arche, Jean bondit devant Marie ; et les mots dont Elisabeth salue Marie sont les mêmes dont David salue l’Arche. On voit la profondeur théologale que ce rapprochement, fait par Luc, entre les épisodes, donnent à la Visitation. Ce qu’était l’Arche dans l’Ancienne Alliance, le lieu où Dieu demeurait parmi son peuple, Marie l’est dans la Nouvelle Alliance, car c’est en elle que le Verbe demeure. L’épisode de la Visitation est ainsi comme soustrait à l’anecdote : il prend une dimension divine. Le même Dieu est en marche à travers l’histoire, opérant des merveilles, et suscitant la joie messianique.

S’il y a ainsi une analogie entre l’Ancien et le Nouveau Testament, entre la présence de Dieu dans l’Arche et la présence de Dieu en Marie, elle ne doit pas nous masquer l’abîme qui sépare les deux moments. La présence dans l’Arche appartient encore à l’ordre des figures ; la présence de Marie est déjà de l’ordre de l’accomplissement. C’est ici que le caractère unique de l’ordre de Jean apparaît, car il est bien vrai que Jean appartient encore à l’Ancienne Alliance et au temps des préparations et des préfigurations. Et cependant, lorsque Marie visite Elisabeth, les promesses ont été accomplies et Dieu a visité son peuple. C’est déjà le Verbe incarné qui, présent en Marie, fait bondit Jean, comme un nouveau David, dans le sein de sa mère. La Visitation, la sanctification de Jean sont les premières manifestations de l’Incarnation. C’est déjà le Verbe qui opère, ce sont déjà les premières manifestations de la grâce.