Sur Marc 1, 40-45

Les lèpres humaines

Saint Bernard

Troisième sermon pour les fêtes de Pâques, OC 3, p. 233s

 

Le Seigneur Jésus, dont toute la conduite dans la chair n’est autre chose que la médecine du salut, a commencé, avant sa passion, par nous donner sept purgatifs, pour nous donner ensuite, une fois ressuscité, sept aliments aussi doux que salubres. Notre grand prophète Elisée ordonna au lépreux Naaman d’aller se plonger sept fois dans le Jourdain dont le nom signifie descente. Ainsi est-ce dans la descente de Notre Seigneur, c’est-à-dire dans l’humilité de sa vie toute entière, que nous sommes purifiés et purgés, et dans  sa résurrection aussi bien que pendant les quarante jours qu’il passe alors sur la terre, que nous sommes fortifiés et nourris d’aliments délicieux. La lèpre d’orgueil qui nous ronge est de sept sortes : la lèpre de la propriété, celle des vêtements luxueux et celle des voluptés charnelles, il y en a deux aussi qui s’attaquent à la bouche, et deux qui rongent le cœur.

La première, la lèpre de la propriété, rongent ceux qui veulent être riches en ce monde ; on s’en purifie en se plongeant dans le Jourdain, c’est-à-dire dans la descente de Jésus Christ, lui qui était riche et qui s’est fait pauvre pour nous. Le Fils de l’homme n’a point eu où reposer sa tête ! Par la lèpre des vêtements, j’entends toutes les pompes du monde ; on s’en guérit comme l’autre, toujours en se plongeant dans le Jourdain où se trouve le Christ Seigneur enveloppé de misérables langes, devenu l’opprobre des hommes et l’abjection du peuple. Quant à la lèpre du corps, on s’en purifie également dans les mêmes eaux du Jourdain, c’est-à-dire dans la pensée de Notre Seigneur qui nous fera rougir de courir après les voluptés charnelles. J’ai dit qu’il y a deux lèpres qui s’attaquent à la bouche : la première des deux est le murmure qui coule de nos lèvres en paroles d’impatience ; nous guérissons de cette lèpre en considérant Celui qui fut conduit à la mort comme un agneau muet, sans même ouvrir la bouche. Quand nous nous exaltons nous-mêmes avec une sorte d’arrogance, nous sommes atteints d’une autre lèpre, celle de la jactance. Pour nous en débarrasser, allons nous plonger dans les eaux du Jourdain, matchant dans les pas de Celui qui ne cherche point sa propre gloire. Quant au cœur, il peut être rongé par deux autres lèpres, celle de la volonté propre, et celle du propre conseil, deux véritables pestes d’autant plus dangereuses qu’elles ne paraissent point au dehors. J’entends par volonté propre celle qui est uniquement nôtre, et non pas en même temps volonté de Dieu et volonté des hommes ; elle est une bête cruelle et féroce, une louve rapace, une lionne dévorante. Quant à la lèpre du propre conseil, elle est celle de ceux qui ont le zèle de Dieu, mais non point la science, n’acceptant de conseil de personne, semant la division là où règne l’unité, ennemis de la paix, étrangers à la charité, bouffis d’orgueil, satisfaits d’eux-mêmes.