Esther 3, 1-11

Ombres et lumières du livre d’Esther

Dom Irénée Fransen

Le livre d’Esther, BVC 73, p. 27s

       L’histoire d’Esther est bien connue. A la relire, on ressent un certain malaise. Certes la grandeur du Dieu tout-puissant s’affirme souverainement dans la façon dont Il mêne l’histoire : les hommes ont beau s’agiter et machiner tout ce qu’ils peuvent, le roi, tenant du pouvoir, a beau multiplier les décrets contradictoires, le dessein de Dieu se réalise, point par point, se jouant des combinaisons humaines avec une assurance tranquille, imperturbable qui révèle sa présence et son action. Sans doute est-ce là d’ailleurs la leçon qu’entend donner le rédacteur du livre d’Esther, leçon qu’il puise aux sources bibliques : l’exercice de tout pouvoir humain et singulièrement du pouvoir royal appartient au Dieu d’Israël : Tels des canaux d’eaux, tel le cœur du roi aux mains de Dieu : partout où il Lui plaît, Il l’incline. En dehors de la volonté de ce Dieu, les tenants du pouvoir risquent bien de n’être que des pantins, voire des fantoches. C’est l’enseignement des sages et de l’histoire.

       Les protagonistes ne laissent pas que d’en appeler à cette conduite providentielle de l’histoire dans des prières qui ne manquent ni de chaleur cordiale, ni d’abandon sincère. Ecrit dans le malheur et la persécution, peut-être, ce livre témoigne d’une ferveur de foi que l’on ne peut qu’admirer.

       Des lors ces qualités foncières et cette optique dissipent l’impression pénible que laissent l’exaltation de la haine que se vouent Juifs et Païens, l’arrogance du juif Mardochée, le sentiment de vengance qui s’insinue dans le cœur d’Esther. Il s’agit de l’exercice de la justice immanente qui veut que le mal médité contre l’ennemi se retourne contre son auteur, sans qu’on puisse rien y changer. Le livre de la Sagesse insistera sur cette victoire du sage sur les forces du mal et les exemples bibliques ne manquent pas du juste persécuté qui triomphe finalement : Joseph, Judith, Daniel, Esdras, Néhémie et… Jésus.

       Si l’Ancien Testament raconte complaisament les Guerres de Dieu, est-ce pour exaspérer le sentiment national, pour souligner une protection pleine de prévenance dont l’exercice entraîne nécessairement des interventions dans l’histoire ?

       Reconnaissons toutefois, dans un écrit où la fiction domine, le libre jeu de la construction littéraire qui ne peut résister au parallélisme et dont la structure artificielle met davantage en valeur la protection providentielle du Dieu d’Israël pour son peuple que les représailles exercées sur les adversaires. Ramenons aussi cette vengance à de justes proportions. Qu’était le peuple juif au milieu de ces empires ! Ne crie-t-il pas à tue-tête, dans son obscurité, pour se donner du cœur ? Et d’ailleurs peut-on dire, qu’aujourd’hui, le livre d’Esther ne peut nous rappeler l’amour des ennemis et l’abolition de tout esprit de vengance et de revanche ?