Deutéronome 32, 48-52 + 34, 1-12

Moïse

Alfred de Vigny

Poèmes antiques et modernes, p. 10s

 

Et, debout devant Dieu, Moïse ayant pris place,

Dans le nuage obscur lui parlait face à face.

Il disait au Seigneur : « Ne finirais-je pas ?

Où voulez-vous encore que je porte mes pas ?

Je vivrai donc toujours, puissant et solitaire ?

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre.

Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ?

J’ai conduit votre peuple où vous avez voulu,

Voilà que son pied touche à la terre promise,

De vous à lui, qu’un autre accepte l’entremise,

Au coursier d’Israël qu’il attache le frein ;

Je lui lègue mon livre et la verge d’airain.

J’ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire,

Et j’ai dit dans mon cœur : « Que vouloir à présent ? »

Pour dormir sur un sein, mon front est trop pesant,

Ma main laisse l’effroi sur la main qu’elle touche,

L’orage est dans ma voix, l’éclair est sur ma bouche ;

Aussi, loin de m’aimer, on tombe à mes genoux.

O Seigneur, j’ai vécu puissant et solitaire,

Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre. »

Or, le peuple attendait, et, craignant son courroux,

Priait sans regarder le mont du Dieu jaloux ;

Car, s’il levait les yeux, les flancs noirs du nuage

Roulaient et redoublaient les foudres de l’orage,

Et le feu des éclairs, aveuglant les regards,

Enchaînait tous les fronts courbés de toutes parts.

Bientôt le haut du mont reparut sans Moïse,

Josué avançait pensif, et palissant,

Car il était déjà l’élu du Tout-Puissant.