1 Samuel 31,1-4 + 2 Samuel 1,1-16

La mort de Saül

Jacques Cazeaux

Saül, David, Salomon, La royauté et le destin d’Israël, p. 157s

 

          En apprenant la mort de Saül, David manifeste sa piété pour l’Oint de Dieu par deux attitudes complémentaires : il fait exécuter le messager, ce qui revient à refuser la passation directe que lui proposait le transfert de la couronne et de la bague ôtées à Saül par le messager ; ces objets, des symboles muets, dont le messager voulait en faire hommage à David,  disparaissent aussitôt que mentionnés ; puis David prend le deuil et, toujours fidèle à sa vocation de musicien-poète, il entonne à la gloire de Saül et de Jonathan une élégie soutenue.

          La composition de ce poème est simple et soignée. Deux formules-refrains établissent des relais, de sorte que nous avons d’abord une adresse douloureuse au site géographique, Gelboé, puis aux protagonistes du drame, Israël et les Philistins, suivie de trois brefs couplets : un premier couplet sur Saül et Jonathan, père et fils réunis, un autre couplet sur Saül seul, et un dernier couplet sur le seul Jonathan.

          La présence et la longueur même du poème funèbre composé par David, musicien de toutes les circonstances, ont pour mission littéraire de souligner l’importance du moment, d’abord en le prolongeant tout simplement. Nul n’a jamais vu un « supplanteur », et c’est le cas de David, pleurer la disparition de son rival et prédécesseur. Le désintéressement de David marque donc une pause dans le tourbillon de l’Histoire. Ne nous laissons pas complètement enfermer dans les mérites subjectifs du personnage, nous perdrions les effets d’une tactique plus objective du narrateur. Car le second récit de la mort de Saül insiste sur l’onction royale : le jeune messager a osé porter la main et l’épée sur la personne du roi, marqué par l’Onction divine ; David le fait exécuter pour ce crime. Mais, onction pour onction, on s’aperçoit que depuis longtemps l’onction dont Samuel a marqué David en remplacement de Saül est restée, elle, lettre morte. Peu après la mort de Saül, David va recevoir une nouvelle investiture, mais ce sont les hommes de Juda qui lui confèreront l’onction, comme si de rien n’était. Cette onction n’a pas le caractère divin de la première onction, puisqu’elle vient du peuple : c’est une élection. David lui-même, redoutant la violence de Joab, son propre général, se dira que son onction n’est pas grand-chose : Moi, aujourd’hui, je suis faible, bien qu’ayant l’onction, et ces hommes, Joab et ses frères, sont plus forts que moi.