Matthieu 13, 1-23

Le semeur

Père Xavier Léon-Dufour

Etudes d’Evangile, p. 278s

 

          Lorsque Jésus raconte l’histoire du Semeur, il paraît se référer au monde rural de ses auditeurs. En fait, dans la manière dont il organise sa description, dans le choix de ses images, il est tributaire d’une mentalité qui le fait participer comme ses contemporains, à l’héritage biblique. S’il a tout recréé par son regard intérieur, c’est à partir d’une culture et d’un terroir déterminés : paysages palestiniens, mœurs rurales et villageoises de ce temps, mais aussi thème et symboles de la Bible ont modelé sa sensibilité, nourri son imagination, pétri son langage, préformé son message.

            Or la tradition biblique présente volontiers le dessein du salut à travers le devenir de la nature ; ainsi semailles, croissance, fruits, moisson ont reçu une valeur symbolique déterminée.

            A la différence du thème de la moisson, le thème du DieuSemeur est peu développé dans la Bible. Sans doute le récit de la création permet-il de conclure que Dieu a déposé dans ses créatures des semences qui désormais portent en elles leur propre loi de développement et de reproduction. Mais le Créateur n’est montré sous les traits d’un semeur qu’en contexte eschatologique.

            En quoi consiste l’originalité de Jésus ? On la saisit quand on se souvient de l’importance presque exclusive donnée par la Bible à la moisson. Jésus a drainé sur l’image du semeur l’intervention divine que la Bible fixait au temps de la moisson. Il concentre l’intérêt sur ce qui précède l’évènement de la moisson finale. Quand Dieu vient semer, c’est le signe que survient la fin des temps : le geste du semeur inaugure les temps eschatologiques. Il a trouvé la bonne terre qui accueillera le Germe, et par cette union féconde produira des fruits. S’il ne tombe en terre, le Germe ne portera pas de fruit ; mais, à son tour, sans la venue de ce Germe en elle, sans la semence que jette le semeur, la terre demeure sans fruit.

            Cette dernière remarque est capitale pour l’intelligence de la parabole du semeur. Trop souvent, en effet, on l’interprète comme le simple énoncé d’une loi de l’existence chrétienne. En fait, Jésus annonce un événement eschatologique : les derniers temps sont inaugurés, la rencontre entre le Germe et la terre a eu lieu. La question qui désormais importe, ce n’est plus de guetter les signes avant-coureurs du règne de Dieu : il est déjà là. Ce n’est pas de hâter le temps de la moisson : celle-ci viendra plus tard, c’est l’affaire de Dieu. Ce qui importe, c’est d’être une bonne terre qui, accueillant la semence répandue, lui fait porter du fruit.