1 Samuel 9,1-6+14 – 10,1

Le royaume : échec ou aboutissement du rêve d’Israël ?

Père Evode Beaucamp

L’espérance du Règne de Dieu, VS 96, 1957, p. 588s

 

          Le Royaume de Dieu est proche, s’écrira un jour Jean Baptiste, et partout les foules accoururent pour recevoir le baptême de pénitence. Un homme, d’origine modeste, de l’illustre lignée des rois, commença peu après à faire parler de lui. Sous ses mains, les malades guérissaient, les yeux des aveugles, les oreilles des sourds s’ouvraient, les morts ressuscitaient. L’heure du salut avait sonné pour toutes les misères d’Israël : les pauvres entendaient enfin la Bonne Nouvelle. Mais cet homme, doué de pouvoirs extraordinaires, ne paraissait pas pressé de rétablir le règne de Dieu ; il fuyait même lorsqu’on lui parlait de le faire roi. Sans doute, cet homme étrange exigeait-il de ses disciples qu’ils quittassent tout pour le suivre, mais en fait l’on ne voyait rien arriver. C’est qu’il est plus facile de recruter des légions, de les amener à la tuerie au son des tambours que de changer le cœur des fils d’Adam. Or, c’était à renouveler l’homme tout entier que prétendait l’action de Dieu, et non point seulement à réformer des structures politiques et sociales. Aussi, le Christ préféra-t-il se consacrer à la formation de quelques disciples plutôt que de se laisser emporter par l’enthousiasme des foules.

          Si le grain de blé ne meurt… En marchant sur Rome avec une armée de fanatiques, Jésus n’eût point transformé le monde aussi radicalement que par sa mort sur une croix. Au Calvaire, le Fils de Dieu portait la souffrance et les misères d’une humanité pécheresse, pour qu’au troisième jour puisse s’ouvrir, sur l’histoire, l’aube de la résurrection. C’était là le terme de toute la révélation mosaïque, depuis la conquête de Canaan jusqu’au baptême de Jean Baptiste : le règne de Dieu était désormais arrivé ; les cœurs tendus par une espérance sans cesse déçue et sans cesse rebondissante se dilateraient enfin dans l’Alléluia d’une éternelle pentecôte et dans l’Amen de l’Apocalypse.

          Mais pour voir aboutir ses rêves, Israël devait accepter de passer par l’ultime et suprême désillusion de son histoire : la mort sur une croix de son Roi-Messie.