2 Corinthiens 3,7 – 4,6

La Transfiguration chez saint Matthieu

Père André Feuillet

Perspectives propres à chaque évangéliste, Biblica 1958, p. 292s

 

                Le récit de la Transfiguration chez saint Matthieu semble destiné à accréditer la mission doctrinale du Christ, fondateur d’une nouvelle économie destinée à remplacer l’économie mosaïque.

                   Naturellement le personnage de Moïse est ici mentionné en premier lieu, et c’est à lui tout d’abord que songe l’évangéliste. S’il est seul à noter le rayonnement du visage du Sauveur, c’est sans doute parce qu’il voit dans ce trait une réminiscence du rayonnement du visage de Moïse après la théophanie du Sinaï : Jésus n’est-il pas un nouveau Moïse ? L’origine divine de la Loi avait été symbolisée par la gloire se reflétant passagèrement sur le visage du législateur des Hébreux, mais la gloire que recevra le Christ sera permanente.

                   Moïse et Elie ont conservé dans le récit de Matthieu la signification qui nous paraît devoir être tenue pour primitive, parce que c’est plus obvie. Ils représentent la Loi et les Prophètes que Jésus est venu accomplir. Un privilège unique explique le rôle de guides spirituels qu’ils ont joué dans l’ancienne Alliance : ils s’étaient entretenus avec Dieu sur le Sinaï. Maintenant, la montagne de la Transfiguration est le correspondant de celle du Sinaï. Ils y viennent pour s’entretenir avec le Fils de Dieu, qui en tant que tel, ne peut être que la vérité même, qu’il faut absolument écouter. C’est pourquoi, lui ayant préparé les voies, ils ne peuvent que s’effacer devant Lui, et ce serait une erreur de vouloir, comme Pierre, prolonger leur présence.

                   Le ciel lui-même se charge de désabuser Pierre. A peine a-t-il émis ce vœu qu’une nuée lumineuse recouvre d’ombre l’apparition. Le premier évangile a ceci de spécial qu’il accole au mot nuée l’épithète lumineuse, ce qui est assez paradoxal, car en rigueur de terme une nuée lumineuse ne peut couvrir d’ombre ! A l’intention exprimée par le chef des apôtres (en Matthieu, Pierre parle au singulier : Je ferai) de dresser trois tentes, le Père oppose sa volonté formelle de donner au monde pour l’instruire son Fils bien-aimé qui, enveloppé d’une nuée lumineuse, manifeste sa gloire. Comment ne pas songer, non seulement à Dieu qui au Sinaï révèle sa gloire (Exode 24,16-17), parle du ciel (Exode 20,22), et fait retentir sa voix au milieu du feu, de la nuée et de l’obscurité (Deutéronome 5,19) pour édicter ses ordonnances à Moïse et au peuple choisi, mais encore à la Sagesse divine de Ecclésiastique 24, qui, ayant son habitation sur une colonne de nuée (verset 4), a dressé sa tente parmi les hommes (verset 8) pour délivrer ses leçons, sans cesser pour autant de séjourner dans les hauteurs (verset 4).