2 Rois 9, 1-16 + 22-27

Les occasions manquées

Jacques Cazeaux

Le livre des Rois, p. 128s

         

          Ce récit de l’onction donnée à Jéhu rappelle étrangement celui de l’onction secrète donnée à Saül par Samuel.

          Ce n’est pas Elie qui oindra Jéhu, comme prévu initialement, ce n’est même pas le prophète Elisée, mais un prophète quelconque dont on ne connaît pas le nom ; on ne sait de lui qu’une chose, il est appelé le jeune homme. L’affaire, l’onction de Jéhu, ne sera même pas franche, Jéhu lui-même mentant à ses troupes. Le début de l’aventure est finement agencé : déjà l’investiture de Jéhu tient le moins possible à Dieu, ce qui dévalorise son action future, et si le prophète qui lui a donné l’onction doit s’enfuir sa mission sitôt accomplie, c’est que l’onction aura fait de Jéhu un personnage dangereux. Et les deux repères joueront. L’action violente de Jéhu dépassera de si loin le châtiment prévu d’Achab et de Jézabel qu’il sera aux antipodes de la vérité d’Israël, et précisément par sa folle violence. Sur le récit de l’onction de Jéhu, comme sur son règne, plane le souvenir du conflit entre Elie et Jézabel, on ne voit cependant pas Elisée assister à ce sanglant règlement de comptes. Cette onction est comme une pierre d’attente, une pierre glissée dans le jardin de Jéhu. Les massacres succèdent aux massacres, et sa mission s’achèvera par le châtiment de Jézabel, qui, dévorée par les chiens, n’aura pas de sépulture, ce qui est, pour un Israélite, la pire des calamités.

          Quant à la première scène, l’investiture de Jéhu, un premier apparent détail en dit long : Jéhu y commet un premier manquement, par le haut, pour ainsi dire, non pas du côté de la Terre, mais du Palais. Car le prophète délégué cherche un prince parmi les princes, et le mot résonne trois fois. Jéhu pressenti, oint presque en secret, et parlant de travers à ses pairs, pouvait accepter l’onction, certes, mais l’onction d’un prince. Lui, un homme neuf, il pouvait alors au nom de la vérité d’Israël rester en Israël tel un prince et non un roi : l’Histoire aurait alors basculé.