1 Rois 22, 1-9 + 15-23

Une nouveauté au XIII° siècle : la prédication

André Vauchez

Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, tome 6, p. 116s

         

          Le fait que le ministère de la parole soit au cœur de la sainteté de Dominique et de la vocation des Prêcheurs est une réalité que nous avons du mal à concevoir aujourd’hui la nouveauté, habitués que nous sommes à voir la prédication associée à l’eucharistie. Mais au début du XIII° siècle, à quelques rares exceptions près, personne ne parlait de Dieu aux fidèles dans une langue simple et compréhensible pour eux. Une barrière linguistique et culturelle séparait souvent les évêques de leur peuple : le latin, dans lequel ils lisaient les textes sacrés, n’était pas compris des laïcs, et il n’existait pas encore de traductions intégrales de la Bible dans les diverses langues vernaculaires. Parfois, en particulier en Angleterre, les prélats ne connaissaient pas la langue de leurs ouailles et ne communiquaient avec les laïcs que par l’intermédiaire d’interprètes !

            Les prêtres étaient en général incapables de prêcher, n’ayant reçu aucune formation approfondie. On leur demandait simplement de savoir par cœur les formules des sacrements et les principales prières. Dans l’opinion commune, le curé n’est pas considéré comme l’homme de la parole, mais comme celui qui connaît les rites et les gestes efficaces pour attirer sur ses paroissiens la protection divine. Quant aux moines et aux ermites, ils ne s’adressaient aux laïcs que de façon exceptionnelle, car telle n’était pas leur vocation. Les mendiants doivent donc une grande partie de leur prestige au fait qu’ils s’étaient mis avec désintéressement au service de l’Evangile et qu’ils consacraient leur vie à le transmettre aux baptisés, aux hérétiques et même aux infidèles, puisqu’ils se lancèrent très rapidement dans la mission auprès des païens. Selon l’abbé bénédictin Guillaume Peyrac, qui l’avait bien connu pendant ses années languedociennes, saint Dominique se donnait avec tant de ferveur à la prédication qu’il exhortait et obligeait les frères à annoncer la parole de Dieu de jour et de nuit, dans les églises et les maisons, par les champs et les chemins, en un mot, partout, et à ne parler jamais que de Dieu. Un autre témoin, à son procès de canonisation, italien celui-là, déclara que quand il prêchait il trouvait des mots si bouleversants que très souvent il s’émouvait lui-même jusqu’aux larmes et faisait pleurer ses auditeurs, si bien que jamais il n’avait entendu un homme dont les paroles excitassent aussi efficacement à la componction et aux larmes. On ne saurait mieux attester l’impact de cette prédication, qui devait se montrer d’autant plus efficace qu’elle ne prétendait être qu’une parole au service de la Parole divine et qu’elle s’adressait à un public sevré de l’Evangile.