Ephésiens 2, 11-22

Le paradoxe central (les versets 14-15)

Père Benoît Standaert

Paul de Tarse, volume 2, p. 387s

         

          Il y a au cœur de tout un remarquable paradoxe, entrevu et souligné par Paul. Il parle de la mort cruelle de Jésus, exécuté brutalement et torturé sur le bois de la croix, y versant son sang. Or cette action,  le Christ ne fait pas que la subir ; il est dit comment, dans cette action en soi horrible, il crée du neuf ; oui, il crée du neuf l’Homme Nouveau, il construit l’unité, il réconcilie, produit la paix et l’unité. Il abolit la séparation, il détruit la barrière et supprime le mur de séparation. Lui-même, mis à mort, tue la Haine, l’Inimitié. Plus on fixe la portée de chaque verbe introduit dans ces versets, plus on est saisi par l’inversion qui est donnée à la mort même du Christ. Celui-ci, bien que tué, tue la Haine, abolit ce qui sépare, et, en mourant, crée un être nouveau où Juifs et païens se voient unis et réconciliés entre eux et avec Dieu.

            Admirons, certes, mais gardons l’esprit éveillé, car on peut se demander si on a vraiment tué la Haine, et aboli l’Inimitié, quand on se souvient de tous ceux qu’au nom de ce Crucifié, on a poursuivis, exclus, exécutés. Notre langage, assez exalté et sublime comme ici, dit quelque chose de vrai sans doute, mais pourrait aussi nous faire oublier tout le réel historique qui contredit à la lettre ce qui est proclamé ici. N’abusons pas du langage du sublime ! C’est plus vite dit que fait, dira la sagesse populaire, à bon droit. Rappelons encore cette Inimitié initiale dont parle une des premières pages de la Bible. Dieu dit au serpent : Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité. Qu’en est-il de cette inimitié-là ? Jusqu’où cette page des Ephésiens, si réfléchie, si éloquente soit-elle, implique-t-elle que la mort de Jésus tue aussi cette Inimitié-là ? C’est dire, à y réfléchir un peu plus largement, que tout n’est pas réglé une fois pour toutes par l’acte unique du Christ mourant à la croix. Le combat dure, combat consacré à l’armement nécessaire pour tout croyant : Revêtez-vous de la panoplie de Dieu ! Discernons bien l’ennemi véritable et veillons à ce que la grande paix ne devienne jamais source de règlement de comptes  et de violences aveugles. L’Ennemi aujourd’hui n’est plus tant le serpent en face de nous, que la bête humaine qui, sans égards, épuise la biosphère qu’elle partage pourtant avec tout le reste de la nature. Il y a en Dieu une grande Paix ; il y a en Christ une réconciliation universelle. Il y a en nous, par notre foi, l’accès à une victoire sur les divisions et sur le mal. Mais que cela ne nous rende jamais gonflé d’orgueil, ni aveugles sur notre propre conduite : rien n’est acquis pour de bon dans la condition humaine qui demeure poussière et cendres, comme l’avouent avec réalisme le patriarche Abraham et le sage Job.