Matthieu 16, 21-27

«  Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même »

Saint Grégoire le Grand

Homélies sur l’Evangile, tome II, Homélie 32, SC 522, p. 277s

 

                 Celui qui renonce à ses vices doit chercher les vertus dans lesquelles il doit grandir. Car après avoir dit : Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, le Seigneur ajoute : Qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. Il y a deux façons de porter la croix : quand on mortifie son corps par le jeûne, et quand le cœur s’afflige par la compassion envers le prochain. Voyons comment Paul avait porté sa croix des deux façons. Il disait : Je meurtris mon corps et le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même disqualifié. Nous l’avons entendu parler de la croix de la chair dans les mortifications du corps, écoutons-le parler maintenant de la croix de l’âme dans la compassion envers le prochain. Paul dit : Qui souffre sans que je souffre aussi ? Qui vient à tomber sans que cela me brule ? Ce parfait prédicateur, pour donner l’exemple de la mortification, portait la croix dans son corps. Et parce qu’il portait en lui les misères de la faiblesse d’autrui, il portait la croix en son cœur.

                   Comme certains vices sont proches de certaines vertus, il nous faut dire quel vice guette le jeûne corporel et quel vice guette la compassion de l’âme. D’ordinaire la vaine gloire guette de près le jeûne du corps, parce qu’en voyant ce corps amaigri, la pâleur de ce visage, on loue une vertu manifeste. Et celle-ci apparaît d’autant plus vite au-dehors qu’elle se montre davantage aux yeux par la pâleur. Et il arrive souvent que, ce que l’on croit faire pour l’amour de Dieu, n’est en fait que pour attirer les faveurs des hommes. Simon symbolise bien cela : rencontré sur le chemin du Seigneur, il est requis pour porter sa croix. On porte par réquisition les fardeaux d’autrui quand on fait quelque chose par vanité. Qui symbolise Simon, sinon ceux qui jeûnent avec orgueil ? Ils mortifient leur corps par le jeûne, mais ne recherchent pas intérieurement le fruit du jeûne. Simon porte donc la croix du Christ sur réquisition. Quand le pécheur n‘est pas conduit à l’œuvre bonne par une volonté bonne, il accomplit sans fruit les œuvres du juste. Simon porte donc la croix, mais n’y meurt pas, parce que les jeûneurs orgueilleux mortifient bien leur corps par le jeûne, mais vivent pour le monde par leur désir de gloire. Dans la compassion, ce qui guette souvent l’âme en secret, c’est la fausse bonté qui va jusqu’à l’entraîner parfois à condescendre aux vices, alors qu’elle devrait susciter à l’égard du péché, non la compassion, mais le zèle. On doit la compassion à l’homme, et la rectitude aux vices : ainsi, dans le même homme, nous aimerons le bien qui a été fait en lui, mais nous châtierons le mal qu’il a fait, de peur qu’en remettant imprudemment les péchés, nous paraissions, non plus compatir par charité, mais concéder par négligence.