Tite 1,7-11+2,7-8 ou Actes 20,17-36

Martin et le pouvoir séculier

Luce Piétri

Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, tome 3, p. 218s

 

          Plus que la ferveur populaire qu’avait fait naître, ici et là, dans ses tournées pastorales, sa bonté compatissante, le renon de sainteté et de puissance, acquis et diffusé dans une partie de l’aristocratie proche de la cour, devait conférer à Martin cette autorité qui lui permit de commander non seulement à des comtes et à des préfets, mais aux souverains eux-mêmes. L’évêque du modeste siège de Tours put ainsi intervenir, à plusieurs reprises, dans les rapports entre le pouvoir et l’Eglise, pour la plus grande gloire de cette dernière.

            Dans les débuts de son épiscopat, Martin s’était rendu une première fois à Trèves, auprès de Valentinien, mort en 375 : il força les portes du palais où l’empereur, son trône ayant soudainement pris feu, fut contraint de se lever pour accueillir son visiteur et accéda ensuite à toutes ses requêtes. Mieux averti de la puissance du thaumaturge, l’empereur Maxime (383-388) faisait souvent appeler Martin et le recevait dans son palais en le vénérant et l’honorant. Bien qu’il vînt solliciter des grâces, Martin s’était d’abord refusé à partager la table de l’usurpateur, à qui il reprochait ouvertement d’avoir ôté la vie à un empereur (Gratien), le fils et successeur de Valentinien, lui prédisant qu’il périrait lui aussi par le glaive.

            Une grave affaire, l’hérésie priscillianiste, allait bientôt dresser une partie du corps épiscopal contre Martin. Ses adversaires les plus acharnés, notamment l’évêque espagnol Ithace, se saisirent de cette occasion pour assurer sa perte.  Martin, présent à Trèves, s’efforçait d’amener Ithace à se désister dans une affaire ecclésiastique indûment portée devant un juge séculier ; il se vit à son tour dénoncé comme un sectateur de Priscilien. Il obtint cependant de Maxime la promesse que le sang ne serait pas versé ; mais à peine fut-il reparti pour son diocèse que le procès reprit et Priscilien fut condamné à mort et exécuté en 386, premier hérétique frappé par le bras séculier, au grand scandale du saint évêque de Milan, Ambroise. Maxime ne voulait pas en rester là : il décida d’envoyer en Espagne des tribuns armés pour y pourchasser impitoyablement tous les hérétiques. Pour obtenir que l’on ne procédât point à une sanglante persécution, Martin dût revenir à Trèves et accepter d’entrer en communion avec les évêques présents, au nombre desquels se trouvait Ithace. Pour sauver des vies humaines, l’évêque de Tours n’avait pas hésité à compromettre le repos de sa conscience, déchirée, qui lui reprocha par la suite d’avoir communié avec des coupables.