Ezéchiel 14, 12-23

La connaissance de Dieu et de soi

Saint Bernard

Sermons divers, tome 1, Introduction, p. 21s

 

                Vision de soi et de Dieu, la contemplation est en fin de compte la plénitude presque inachevée de cette sagesse essentielle à la vie chrétienne, et plus encore à la vie monastique, et qui consiste à se connaître soi-même, et de connaître Dieu, dans la lumière de la révélation. En cela consiste même la vie de l’esprit.

                   Alors que tous les yeux sont fixés sur moi, ceux des méchants pour m’épier avec envie, ceux des bons dans le désir de mon progrès, serai-je le seul à ne pas me considérer moi-même, à ne pas me voir comme suspendu entre l’enfer et la gloire ? La santé de l’âme, c’est de connaître la vérité, et sa corruption porte essentiellement sur la connaissance qu’elle a de soi-même et de Dieu.

                   Cette connaissance existentielle de soi s’appuie, chez saint Bernard, sur l’oracle de Delphes : Connais-toi toi-même, oracle qui a eu toute une fortune chez les Pères, sur un verset du Cantique des cantiques : Si tu ne te connais pas, ô belle entre les femmes, sors… (1,7), et sur cette citation de saint Augustin : Seigneur Dieu, que je te connaisse et que je me connaisse (Sermon 2,1). Elle consiste en une première attention : se souvenir d’où l’on vient. Ce souvenir, pour notre honte devant Dieu, est celui de la chute et de tout ce que, par elle, on a perdu. L’homme avait été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, dans la droiture de la volonté, pour que l’âme trouve en Dieu la vie et le bonheur. Mais il a choisi de tomber loin de Dieu et de ressembler non plus à Dieu, mais aux bêtes. Le souvenir du passé cependant n’est pas seulement amer, car la prise de conscience du péché, si elle conduit à la repentance, est le commencement du salut.

                   La sagesse consiste en même temps en une attention à l’égard du présent : la vie de l’homme, dans la douleur, est un exil dont on ne peut sortir qu’à grand peine. Le présent devient alors l’occasion de mépriser les avantages immédiats et de s’exercer au bien.

                   Enfin la sagesse est conjointement une attention par rapport à l’avenir : Souviens-toi de ta fin pour ne pas pécher, répète souvent saint Bernard à la suite de l’Ecclésiastique (7,40). C’est normalement le jugement et la mort qui attende l’homme, c’est cela qu’il mérite. Mais l’avenir peut et doit susciter chez l’homme qui a appris à se connaître, le désir du Royaume et la persévérance dans la volonté.

                   Faite de justice, de joie souriante et d’humilité, axée dans la disponibilité sur le désir de la seule gloire de Dieu, cette sagesse donne sens à la vie présente et à ses épreuves. Elle naît de la foi et se réalise activement en obéissance, en abstinence et en patience, et tire ainsi profit du temps. C’est ce caractère engagé et dynamique qui sauve la sagesse de devenir la satiété d’un savoir abstrait et intellectuel.