Isaïe 26, 7-21

Explication du chant d’amour

Saint Jean de la Croix

Œuvres Complètes, Le cantique spirituel, Explication, p. 1217s

 

                L’âme frappée du compte qu’elle devra rendre de ses obligations, se dit que l’existence est courte, le sentier qui mène à la vie éternelle très étroit ; que le juste a bien de la peine à se sauver, que les biens de ce monde sont vains et trompeurs, que tout prend fin et s’écoule comme l’eau qui s’enfuit, que le temps est incertain, le compte à rendre rigoureux, la perte facile, le salut entourée de mille obstacles. Elle pèse d’autre part la dette immense qu’elle a contractée envers Dieu : il l’a créée pour lui seul, et elle lui doit en conséquence le tribut de sa vie tout entière ; il l’a rachetée par lui-même, d’où il est clair qu’elle lui doit tout ce qui lui reste à vivre, qu’elle est obligée de lui correspondre de tout l’amour de sa volonté. Avant même sa naissance, elle lui était redevable d’une foule de bienfaits. Voici pourtant qu’elle a follement perdue une grande partie de son existence : Quand le Seigneur viendra scruter Jérusalem le flambeau à la main, il lui fera rendre compte de tous les bienfaits reçus, sans exception, jusqu’à la dernière obole. Il est tard, et c’est peut-être la dernière heure du jour. Il faut réparer un si grand mal, un pareil dommage, d’autant plus que Dieu soit irrité et se cache, parce qu’au milieu des créatures, elle l’a volontairement oublié. Remplie d’effroi, brisée de douleur au plus profond d’elle-même, elle renonce à toutes choses, elle abandonne toute autre affaire, sans tarder ni un jour, ni une heure. Eperdue, le cœur plein de gémissements et blessée déjà de l’amour de Dieu, elle invoque son Bien-Aimée et lui dit :

 

Où es-tu caché, Bien-Aimé,

Me laissant toute gémissante ?

Comme le cerf tu t’es enfui,

M’ayant blessée ; mais à sa suite,

En criant, je sortis. Hélas, vaine poursuite ?